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Antarctica s’expose au Musée des Confluences

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28/06/2016 | Robert Dessi

Le Musée des confluences de Lyon accueille jusqu’au 31/12/2016 l’exposition Antarctica. Nous avons pu y rencontrer le réalisateur Luc Jacquet – à qui l’on doit entre autres La marche de l’Empereur, La glace et le ciel – et lui poser quelques questions à propos de cette nouvelle aventure qu’il a menée durant 45 jours avec les photographes Vincent Munier et Laurent Ballesta. Une bouffée d’air frais au cœur de l’été.

L’exposition

MDLP : Comment l’idée d’exposer ce projet au Musée des Confluences de Lyon vous est-elle venue ?

Luc Jacquet : C’est plutôt une rencontre. L’un des grands enjeux pour moi concerne la conservation de la nature et la préservation de la biodiversité. Antarctica s’inscrit dans le cadre d’une initiative de mon ONG, Wild Touch, dans un programme sur la biodiversité qui s’intitule « The Flow of Life ». L’idée n’est pas d’être dans une alerte politique, mais d’arriver à créer de l’empathie en mélangeant la science et l’émotion. Tout ce qui a présidé, inspiré cette exposition, relève de cette ligne éditoriale, si je puis dire. Quand j’ai commencé à évoquer l’expédition avec Hélène Lafont-Couturier [NDLR : Directrice du musée des Confluences], elle m’a aussitôt dit oui. C’est un véritable pari que nous avons fait, une prise de risque de sa part et de son équipe, puisque c’est là un projet inhabituel.
J’avais depuis longtemps envie de raconter une histoire à travers ce médium. Et puis, il y avait une volonté de renouveler ce genre, de nous l’approprier.

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Credit © Vincent Munier
Luc Jacquet aux abords du chaos.

C’était donc une expérience inédite pour vous ?

Je n’avais jamais écrit d’exposition, mais j’aime écrire des histoires. J’ai rédigé, non pas avec une narration, comme on peut le faire avec un scénario de cinéma, mais en tenant compte du déplacement des visiteurs, en laissant en permanence la possibilité de prendre ou ne pas prendre, d’apprécier longuement ou de simplement butiner. La proposition qui est faite ici reste largement axée sur le ressenti et sur la décision du spectateur. Dès que l’on offre à ce dernier l’opportunité de revenir sur ses propres émotions et sensations, il se passe quelque chose. Quelque chose qui va vers le bien-être. Pour moi, c’est l’un des intérêts majeurs de cette exposition. C’est aussi une manière de sortir de cette logique formatée où l’on pense qu’il faut aller toujours plus vite, ou l’on bombarde le spectateur d’informations pour éviter qu’il ne décroche.

Quelle est la particularité de cette exposition ?

Devant un grand écran, c’est frustrant, on a parfois le sentiment de buter sur l’horizon alors d’ici, on est dans une proposition qui est très vaste. C’est la première fois qu’on peut amener la dimension de l’infini de l’Antarctique. Cet horizon influe beaucoup sur notre perception des choses, sur notre mental, on est toujours dans des lignes extrêmement lointaines, qui nous ramènent à notre intériorité, à la méditation. Au sentiment d’être tout petit aussi. On est littéralement pris dans quelque chose qui nous dépasse, c’est là, pour ma part, que j’ai le plus le sentiment d’être moi-même. C’est quelque chose qui revient souvent dans les témoignages des membres de l’expédition, cette joie d’éprouver la puissance infinie de la nature. C’est un sentiment extrêmement fort. J’avais envie que le visiteur soit le douzième membre de l’expédition.

Que pouvez-vous nous dire sur le caractère pour le moins immersif de cette exposition ?

La volonté que nous avons eue avec Élène Lafont-Couturier et les personnes avec qui j’ai travaillé sur ce projet, c’est vraiment de créer un environnement qui permette au spectateur d’aller où il ne pourra jamais aller, c’est-à-dire en Antarctique.
L’idée consistait à multiplier les regards pour raconter et « faire ressentir ». Amener le spectateur à comprendre cet écosystème complexe, multifacette, à travers deux points de vue très différents : un point de vue aérien et un point de vue sous-marin, produits simultanément.
Nous avons fait des choix très radicaux – et je remercie en ce sens Hélène Lafont-Couturier de nous avoir donné carte blanche –, pour arriver à faire passer de la science sur un mode que je crois prometteur.
Tout commence à l’entrée de l’exposition où nous avons voulu montrer aux visiteurs une réplique ou plutôt une interprétation de ce sas où l’on se préparait le matin : c’est vraiment le lieu dans lequel tout notre matériel était entreposé. Tous les éléments qui sont présentés ici sont partis avec nous en expédition, les caissons, les combinaisons, etc. [NDLR : sur un portable, on peut voir des séquences filmées in situ. C’est aussi un univers sonore, on y entend des enregistrements des échanges radio entre les différents membres de l’équipe.]
Une fois à l’intérieur, c’est aussi une façon de revisiter le modèle du muséum d’histoire naturelle avec ces trois Black-boxes, ces boîtes avec des trous qui sont en quelque sorte la métaphore des masques de plongée. Je vous invite à mettre la tête dans un des orifices. Tout l’univers sonore immersif a été conçu pour être vu et reçu avec la tête plongée dans ce dispositif. Vous entendrez par exemple une voix d’enfant qui dit simplement le nom d’un animal. Pour moi, c’était la version moderne des animaux dans les bocaux avec des étiquettes peintes à la plume. L’idée, c’était vraiment d’en faire moins possible, je voulais que les gens aient juste la notion du nom des espèces. Plutôt que de mettre des kilomètres de texte, leur donner un minimum d’informations qu’ils puissent retenir. C’est le même principe que nous avons appliqué toute l’exposition, sur les murs pour l’écrit, pour la voix off, etc. L’artifice est invisible, c’est ce qui fait aussi que l’on ne sent pas d’intermédiaire, on est littéralement dans l’expérience.

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Crédit David Haffen © musée des Confluences.
Exposition Antarctica au musée des Confluences.

Dans l’espace qui symbolise la banquise avec ces quatre écrans, l’immersion est spectaculaire. Les gens ne voient plus le médium. C’est surprenant, ils font des photos, des selfies, comme s’ils étaient eux-mêmes sur la glace, les gamins essaient d’attraper les manchots… C’était peut-être pour moi la première fois que je regardais un paysage aussi longtemps sans me dire « j’ai froid, il faut que je bouge… ». En Antarctique, si on est convenablement habillé on ne souffre pas, mais il est très difficile d’avoir de longs moments de contemplation parce qu’il fait malgré tout tellement froid qu’il y a toujours un point où vous êtes frigorifié. Ce n’est pas comme au bord de la mer où vous allez rester deux heures devant le coucher de soleil.

Si on entend assez peu la voix off, il semble y avoir un travail colossal sur le son…

Le son contribue à l’immersion, il ouvre à la sensation. Il fait partie intégrante de la narration, il agit à l’insu même du spectateur.
La difficulté a été ici de gérer techniquement ce son sur un espace aussi grand. Il a fallu pas moins de quatre jours de travail pour réussir à trouver un mixage approprié. Chaque salle conserve son univers avec un niveau suffisant pour que le son soit perceptible et efficace sans que l’on n’observe de pollution sonore entre les différents espaces. Un travail en très grande partie basé sur l’intuition, il a fallu travailler par tâtonnement, à l’oreille. C’est d’autant plus compliqué que l’on est ici dans des espaces ouverts.
Pour la voix off également, j’ai fait preuve de la même sobriété. Je tenais surtout à donner une idée de la biodiversité, c’est ce que j’ai fait dans la salle où l’on peut voir les photographies de Vincent Munier.

Tournage et prise de vue

Nous sommes partis au mois d’octobre, l’année dernière, avec onze équipiers sur l’archipel Pointe de Géologie aux alentours de la base antarctique française Dumont d’Urville, un endroit unique au monde.

Que pouvez-vous nous dire des conditions extrêmes que vous avez dû affronter durant cette aventure ?

C’est d’abord un long voyage pour se rendre sur le site. Ça nous a pris deux jours pour aller en Tasmanie. Nous avons pris le bateau à Hobart, et avec la glace, il a fallu douze jours pour arriver. Aller-retour, comptez trois semaines de voyage.
Sur place, nous avions établi notre camp sur la base Dumont d’Urville, c’est comme un campus, un confort inestimable qui nous a permis de nous concentrer uniquement sur notre travail. Chose qui aurait été impossible si nous avions dû déployer une logistique de type bivouac.
À l’extérieur, les conditions étaient parfois difficiles. Certains jours, il y a vraiment beaucoup de vent et des aléas météo, de la neige. Sur quarante-cinq jours – c’est le temps qu’a duré le tournage –, c’est assez compliqué, car les animaux se reproduisent sur des cycles très rapides et l’on voulait parvenir à tout capter. Nous avions énormément de choses à faire et d’images à ramener ce qui mettait malgré tout une grande pression.
Au-delà de ça, c’est tellement stimulant que nous ne pouvions pas nous arrêter, nous étions emportés dans une espèce de frénésie. Et comme nous étions nombreux, ça créait une forte d’émulation.

Comment avez-vous travaillé avec les photographes ? Avaient-ils des directives ?

Non, il n’y avait pas de directives. C’était véritablement une carte blanche, l’idée c’était vraiment d’avoir des regards singuliers, pour donner une vision multifacette.
Vincent Munier et Laurent Ballesta sont deux artistes qui ont une vision et une démarche très différentes et ça m’intéressait de les mettre en valeur de cette manière.
Ils ont d’ailleurs travaillé de façon indépendante et évoluaient sur des rythmes différents. Vincent ne travaillait que la nuit ou plus précisément sur des lumières crépusculaires quant à Laurent, il était sur une mise en place d’exploration extrêmement complexe, on fonctionnait sur des modèles totalement opposés. Je voulais amener les gens à s’interroger sur ce qui fait la singularité d’un regard. Que ce soit celui de Laurent sur la partie sous-marine ou celui de Vincent sur la partie terrestre, comment, dans ce magma-là, un photographe fait-il ressortir une émotion et comment manifeste-t-il son point de vue ?

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Credit © Vincent Munier
Reposoir de pétrels des neiges.

Aviez-vous sinon un script, un cahier des charges ?

Non, pas précisément, il faut dire que nous étions sur une temporalité et un lieu que je connais bien. Je les alertais, je disais par exemple : « C’est un moment rare, on est sur un événement qui ne va durer que trois jours, si vous voulez des images là-dessus, il faut le faire maintenant. Les « instructions » étaient dans cet ordre-là, eux s’exprimaient comme ils l’entendaient. Certains jours, sur des phénomènes rares, nous photographions non-stop.

Quel est le rapport au temps dans un tel environnement ?

Le temps n’existe pas vraiment, il y a 24h de jour avec un crépuscule qui arrive sur les coups de 22h ou 23h et un lever de soleil entre trois heures et une heure du matin ? Donc en réalité on a une période crépusculaire dans ces moments-là qui est extrêmement longue.

Le travail sur la partie sous-marine avec ses trois grandes plongées s’apparente à un véritable défi ?

Ce sont des plongées qui sont très techniques et très dangereuses. Il y avait un médecin qui se tenait en permanence sur la banquise, surveillait la plongée, prêt à intervenir.
Le briefing se faisait en surface, mais sous l’eau, les plongeurs communiquent en écrivant sur des ardoises et parviennent même à se parler à travers le détendeur, ce qui donne parfois une sorte de langage étrange comme vous avez pu l’entendre.
L’équipe comportait un photographe, un assistant-photographe, un cameraman et un assistant-cameraman.
En ce qui concerne le matériel, les caissons ont été faits sur mesure, comme les combinaisons de plongée qui sont des prototypes que Laurent Ballesta a dessinés et créés avec un fabricant.
Sous l’eau nous avons utilisé un éclairage embarqué, sur batteries. Sachant qu’on était dans des eaux, au moins au début de l’expédition, qui étaient extrêmement claires, avec une visibilité entre 80 et 100 mètres, la lumière artificielle avait pour objectif de ramener de la couleur.
Le matériel de tournage photo et vidéo était classique, les températures n’étant pas très froides, entre -20 et 0°. Les photographes étaient sur Nikon et les caméras Sony F5 caméra de cinéma 4K.

Aviez-vous le temps de visionner les rushes quotidiennement ?

Oui, chaque soir. Et comme nous étions relativement dispersés sur l’archipel – chacun allait un peu comme il le sentait –, on se transmettait l’information. C’est-à-dire qu’il y avait des moments de débriefing informels. Par exemple, on se retrouvait le soir sur la colonie de l’Empereur et on se disait : « Tu as vu ça, et ça ? Oui, tiens, moi j’ai ça et ça, je peux peut-être apporter ceci ou cela… » C’était une discussion permanente très fertile. Ça a apporté plus de créativité que si nous avions été sur une seule mission, une seule feuille de route.

Quels sont vos projets dans le futur ?

Mon prochain projet sera axé sur la biodiversité pour montrer que, quel que soit le lieu où l’on se trouve sur la planète, tous les êtres vivants sont connectés les uns aux autres. Nous allons faire ça faire à travers six expéditions au rythme d’une tous les un an et demi environ, tout autour du monde pour montrer que le maillage du vivant ne s’arrête pas à une localité, mais qu’il faut l’envisager de manière globale. Nous allons travailler sur cette logique de narration multimédia qui va de l’expédition au film de cinéma, en passant par le Web. La prochaine destination sera vraisemblablement l’Arctique sur le passage du Nord-est en Sibérie, une expédition de quatre mois de Mourmansq à la mer de Béring, l’an prochain. On est aussi en train d’en préparer une au Botswana sur le delta de l’Okavango, une en Polynésie sur le corail, une sur les grands fleuves, une sur les systèmes montagnards, L’Himalaya, du Piémont jusqu’au sommet de l’Everest, une sur le désert d’Atacama sur la problématique des grands déserts. Nous voulons véritablement arriver à faire de la pédagogie, de l’image, de la science sur les grands écosystèmes pour raconter, de manière spectaculaire, la biodiversité dans le monde. Le devoir élémentaire pour moi, c’est d’embarquer les gens et de leur montrer tout ça. Je voudrais leur dire, sortons de ce modèle dépressif dans lequel on est, le monde est beau, le monde est grand, il mérite d’être transmis à nos enfants. Pour un pur citadin, la réalité du monde naturel aujourd’hui ne représente à peu près rien. Le pari que je fais, c’est qu’en créant de l’empathie, en recréant du désir de connaissance, on va reconnecter l’humanité au monde dans lequel on vit.
C’est urgent, je voyage depuis 25 ans et je vois le monde se dégrader. Il y a urgence aussi en raison des énormes ressources qui se trouvent dans ces lieux reculés. Elles sont pour le moment inexploitables, mais de grandes puissances mettent d’ores et déjà des stratégies en place pour tirer leur épingle du jeu.

Le site d’Antarctica
L’association WildTouch

Crédit image d’accueil : © Laurent Ballesta
Partagé entre timidité et curiosité, attitude classique du phoque de Weddell nouveau-né.

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