Publié le : 16/12/2014
Par : Franck Mée

Des nanofils pour des super-capteurs

L’université de Harvard a publié un mémoire sur les nanofils de silicium. L’idée : utiliser ces structures pour créer des capteurs photographiques. Le potentiel : détecter couleurs et polarisation, mais aussi enregistrer la lumière habituellement éliminée par les filtres colorés.

Un capteur CCD ou Cmos, fondamentalement, capture peu ou prou toute la lumière qu’il reçoit, du violet à l’infrarouge. Pour voir les couleurs, on rajoute donc des filtres dessus, qu’il s’agisse de la matrice de Bayer ou d’autres versions plus ou moins réussies (dont l’excellent X-trans de Fujifilm) ; nous laisserons de côté les Sigma Foveon et les caméscopes à plusieurs capteurs.

Pour nous, photographes, cette approche a au moins un inconvénient : la lumière éliminée par les filtres est perdue. Ce sont grosso modo deux tiers des photons qui sont impitoyablement éliminés sans atteindre le capteur. Pour les scientifiques, c’est encore plus gênant : les filtres colorés laissant passer l’infrarouge, il faut rajouter un filtre spécifique pour l’éliminer. Il est donc quasiment impossible de cumuler une détection efficace de la lumière visible et une image infrarouge utile.

Les expérimentations de Hyunsung Park, à l’université de Harvard, pourraient remédier à ces problèmes – entre autres. Il travaille sur les nanofils de silicium, des structures de quelques dizaines de nanomètres de diamètre et d’environ un micron de hauteur, et étudie plus particulièrement leurs propriétés optiques.

JPEG - 34.5 ko
Charte Colorchecker perçue avec des nanofils de 80 (a) à 140 (d) nanomètres de diamètre. Des nanofils plus gros augmentent la sensibilité au rouge.

Schématiquement, ces nanofils peuvent, selon leur diamètre, capturer des photos d’une longueur d’onde donnée. En gravant des fils de différents diamètres sur les différents photosites d’un capteur, il est donc possible de filtrer la lumière selon sa couleur et de recréer un motif tel que celui de Bayer.

Jusqu’ici, rien de nouveau ? Si, un point tout de même : les photosites capturant en lumière visible sont naturellement insensibles à l’infrarouge. Il est donc possible non seulement de se passer de filtre infrarouge, mais aussi de mélanger sur le même capteur éléments « visibles » et élément « infrarouges », ce qui peut être très utile en photographie médicale ou scientifique.

JPEG - 42.7 ko
Des nanofils ovales filtrent la lumière selon sa polarisation, comme on le voit sur les carreaux de ces lunettes de cinéma stéréoscopique.

Autre point, peut-être plus spectaculaire : un fil n’est pas forcément cylindrique. Des nanofils ovales permettent ainsi de filtrer la lumière non seulement selon sa couleur, mais également selon sa polarisation. Imaginez qu’au lieu d’une matrice de détecteurs rouges, verts et bleus, vous ayez une matrice de détecteurs horizontaux, verticaux et non-polarisés, et vous aurez la possibilité de prendre en un seul déclenchement trois images polarisées de l’objet de votre choix. Développez un logiciel adapté, et vous pouvez réaliser une cartographie selon la polarisation lumineuse ou choisir a posteriori les reflets et le ciel que vous voulez dans une photo !

Ne rien laisser perdre

Quelle que soit l’application envisagée, il faut noter un détail important : les photons piégés par un nanofil provoquent un courant électrique. Il est donc possible de détecter ceux-ci. Quant à ceux qui ne sont pas piégés, ils traversent le réseau et peuvent être récupérés par une photodiode classique.

Cela permet d’envisager une structure de photosite très intéressante : une diode connectée au nanofil capte la lumière d’une certaine couleur, la seconde placée sur le substrat capte tout le reste. Sur un schéma RGB classique, on obtiendrait donc six valeurs : rouge et non-rouge pour le premier photosite, vert et non-vert pour le deuxième, bleu et non-bleu pour le troisième. Les valeurs étant complémentaires, cela n’apporte théoriquement pas plus d’information ; sauf que selon le niveau de luminosité, l’une des deux diodes peut saturer avant l’autre (limitant ainsi le risque de « clipping » des hautes lumières), ou l’une peut détecter un signal lisible alors que l’autre est dans le noir (augmentant la sensibilité). Quant à obtenir une photo monochrome, il suffit d’ajouter les valeurs des deux diodes.

JPEG - 57.1 ko
On peut imaginer un capteur prenant simultanément une image infrarouge (utile pour l’analyse végétale par exemple) et une image visible.

Avec des nanofils détectant l’infrarouge, cette approche serait encore plus utile : on pourrait ainsi obtenir une information spécialisée (une image infrarouge) et une information plus générale (une image noir et blanc dans le domaine visible).

En combinant toutes ces approches, il serait théoriquement possible de créer des capteurs dont les photosites captureraient en couleurs et en infrarouge, avec différentes polarisations, tout en conservant une bonne sensibilité générale.

Obtenir une image exploitable nécessitera alors sans doute beaucoup de calculs, mais les applications photographiques (choisir a posteriori la polarisation utilisée, la sensibilité et la dynamique, et même la sensibilité spectrale) et surtout scientifiques sont potentiellement larges.

Bien entendu, il y a loin d’un exemplaire de laboratoire universitaire à une application générale : la plupart des « solutions miracles » sont beaucoup plus difficiles à produire industriellement qu’à fabriquer une fois dans un labo. Mais cette approche pourrait répondre à beaucoup d’applications, photographiques, médicales et scientifiques, de manière plus élégante et plus intégrée que les différents filtres (colorés, anti-infrarouge, polarisants…) que nous utilisons aujourd’hui.

- Les nanofils de silicium pour les capteurs d’images (en anglais)

Commenter cet article

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Les commentaires liés à cet article

Commenter cet article

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

[
0
]
col3librairie
col3librairie
col3sauvages

Sauvages

Cet ouvrage est l’aboutissement d’un travail long et passionné, un acte de création pure, le produit d’une démarche éditoriale sincère.