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Exposition : Martin Becka à la galerie La Chambre Claire

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02/04/2016 | Sandrine Dippa

Jusqu’au 30 avril, l’espace galerie de la librairie La Chambre Claire accueille l’Expérience du temps, photographies de Suisse et d’Orient de Martin Becka. Consacrées aux paysages et à l’architecture, les images réalisées à la chambre en négatifs papiers cirés ont été tirées par l’auteur sur des papiers albuminés virés à l’or ou en tirages palladium. Le photographe nous parle de sa démarche.

- Le Monde de la Photo : Pouvez-vous présenter les séries visibles à la galerie de La Chambre Claire ?
Martin Becka : Les photographies présentées sont issues de Dubai, Oman et Territoire a été réalisée en Suisse. C’est un regard sur une partie de mon travail entre 2008 et 2015. Dans ces séries sur l’architecture et le paysage je cherche à porter un regard sur la manière dont nous concevons et construisons les espaces urbains dans lesquels vivent les gens, dorénavant la majorité d’êtres humains de la planète habitent la ville. Les paysages eux sont aujourd’hui truffés de nombreuses infrastructures. Je travaille avec des techniques photographiques pre-industrielles afin d’introduire un brouillage de temporalité dans mon travail et proposer un regard sur les sujets choisis qui soient inhabituels et inédits. L’idée est de produire un décalage du regard pour se diriger vers une sorte d’archéologie du présent, interroger le sens et regarder notre présent comme s’il était déjà observé d’un futur lointain.

- MDLP : Pourquoi s’intéresser à la Suisse et à l’Orient ?
M B : Mes premières séries personnelles sur l’espace urbain et l’architecture ont été prises en région parisienne mais j’avais envie de passer à d’autres ensembles architecturaux. En 2007, une opportunité de faire une série à Dubai s’est présentée. Cette ville est un cliché absolu de la modernité. J’ai voulu la photographier d’une toute autre manière. Le projet s’est réalisé quelques mois plus tard. C’est un univers fascinant où tout va très vite et la plupart des photographies que j’ai prises en 2008 étaient irréalisables un an plus tard quand je suis allé pour l’ouverture de mon exposition. Entre-temps les points de vue et perspectives ont été bouchés ou modifiés par de nouvelles constructions. Pour la série Territoire Jean-Marc Yersin - le directeur du Musée Suisse de l’appareil photographique - a attiré mon attention sur la dualité du paysage lors de la préparation de mon exposition à Vevey. Des infrastructures imposantes qui façonnent le paysage cohabitent avec le côté carte postale, mais sont rarement montrées. Le côté pile et le côté face, rapidement c’était une évidence pour moi qu’il y avait un sujet.

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Burj Khalifa construction, série Dubaï Transmutation - 40 x 50 cm - tirage à l’albumine
Photo : Martin Becka

- MDLP : Toutes les photographies ont été réalisées en négatif papier ciré, pourquoi cette technique ?
M B : J’ai découvert cette technique au début des années 90. Elle m’a séduit car on travaille beaucoup avec la matière du papier qu’on va choisir pour le négatif et dont la matière va se retrouver in fine comme faisant partie de l’image. C’est aussi une manière de décaler le regard et d’accéder à un autre rythme de production d’images. Je travaille à la chambre aux formats 18 x 24 cm, 30 x 40 cm ou 40 x 50 cm et le dispositif technique (fabrication des négatifs, prise de vue, développement) sont chronophages et contraignants. Quand je travaille sur une série et que tout est bien en place j’arrive à faire au maximum quatre à six photographies par jour. On apporte forcement une grande attention à chaque prise de vue. Avec cette technique entre ce qu’on a sur le dépoli de la chambre et le résultat final il y a un monde qu’il faut comprendre et savoir anticiper. Le rendu final oscille entre le poétique, le fantastique, le documentaire, je peux en jouer selon mon envie. C’est un plus pour ce que je cherche à montrer.

- MDLP : Comment les prises de vue se déroulent-elles ?
M B : D’abord intervient la fabrication à partir du papier à dessin et des produits chimiques du négatif en plusieurs phases. Au cours de la dernière phase le papier est sensibilisé pour devenir un négatif photosensible. Il est séché et mis dans un châssis porte film. J’effectue un repérage photographique des lieux avant la prise de vues, cela est indispensable car le poids du matériel est assez conséquent et il faut être sûr de l’emplacement et de l’objectif qu’on va utiliser. Pour une prise de vues en 40 x 50 cm, par exemple, le poids du matériel dépasse les 40 kg. Je monte alors mon pied et installe la chambre dessus et monte l’objectif choisi. J’installe le voile noir, choisi le cadrage, effectue la mise au point . Si le cadre et la lumière me plaisent je bloque les réglages remplace le dépoli par le châssis porte film. J’ouvre le volet du châssis et enlève le bouchon de l’objectif et laisse poser. Le temps d’exposition en fonction de la lumière et du sujet peut aller de 5 minutes à une heure. A la fin de l’exposition on remet le bouchon de l’objectif, referme le châssis porte film et range le matériel pour rejoindre le point de vue suivant. Les négatifs que j’ai fabriqué gardent leur photosensibilité sous les climats tempérés trois à quatre jours, 24 heures dans les pays chauds. L’ensemble des opérations – sensibilisation, prise de vue, développement – doivent donc être exécutées dans la foulée.

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Al Hamara, série Oman - 30 x 40 cm - tirage à l’albumine
Photo : Martin Becka

- MDLP : Avez-vous rencontré des difficultés liées a ce procédé durant les prises de vue ?
M B : Je suis très dépendant de la météo. Dès qu’il y a du vent, la chambre photographique vibre, ce qui produit des images floues. Ce type de prise de vue nécessite aussi de la lumière pour garder des temps d’exposition raisonnables. Les températures peuvent être un autre écueil. À Oman mon labo était installé dans un camion. Des variations de températures importantes entre jour et nuit ont altéré une partie des bains de traitement.

- MDLP : Restez-vous malgré tout ouvert au numérique ?
M B : Bien sûr, je m’en sers pour certains travaux comme tous les photographes. J’ai réalisé il y a quelque temps un polyptyque à partir de statuaires d’églises. Je n’ai pas pu utiliser la chambre, les statues étaient 10/15 mètres au dessus de ma tête. J’ai pris des photos au numérique, les tirages ont été faits au palladium et en cyanotype. L’hybridation entre les différents outils photographiques me semble tout a fait intéressante et riche de possibilités.

- MDLP : Quels sont vos projets ?
M B : Une ville chinoise et une série aux États-Unis, les idées sont là, reste à trouver les moyens, car je voudrais continuer cette série en négatif papier ciré et cela me demande une logistique lourde.

- Le site de la Librairie-galerie La Chambre Claire

Propos recueillis par Sandrine Dippa

Informations pratique :
Librairie de photographie-galerie La Chambre Claire
14 rue Saint Sulpice, 75006 Paris

Crédit image d’accueil : Latitude 46,531180°Longitude 6,645556°, série Territoire - 18 x 24 cm - tirage au palladium

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