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Mathias Zwick : « Mes intentions étaient de montrer un visage différent de la jeunesse iranienne »

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10/02/2017 | Sandrine Dippa

Ils portent des Vans, enregistrent leurs exploits avec des GoPro et roulent sur des planches made in USA. Ce sont les skaters iraniens capturés par Mathias Zwick pour sa série Une poussée vers l’Ouest. Les clichés du photographe parisien sont visibles jusqu’au 5 mars dans le cadre du festival Circulation(s).

Le Monde de la Photo : Racontez-nous la genèse d’Une poussée vers l’Ouest, une série prise en Iran en septembre 2015.

Mathias Zwick : J’étais juriste, mais j’avais envie de faire de la photo, car le droit ne me plaisait plus du tout. En cherchant une idée de voyage qui me donnerait envie de raconter une histoire, j’ai pensé au skate car j’en fais depuis seize ans.
Le skate étant issu de la culture américaine, je me suis alors dit qu’il serait intéressant de voir ce qu’il se passe dans un pays souvent considéré comme ennemi des États-Unis. Après quelques recherches, je me suis rendu compte qu’il avait une communauté de skaters à Téhéran. J’ai fini par contacter le gérant du seul skateshop de la ville qui m’a proposé de rencontrer d’autres jeunes.

Au final, je suis resté un mois et demi sur place. Pour cette série, j’ai photographié les skaters de Téhéran mais aussi de Tabriz, dans le nord du pays, d’Ispahan, de Yazd, de Chiraz et de Sari. Mes intentions étaient, à travers le prisme du skate, de montrer un visage différent de la jeunesse iranienne. Les skaters qu’on voit à travers les soixante images de la série sont à la fois modernes tout en étant attachés à leur héritage millénaire auquel ils tiennent énormément.

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Crédit photo : Mathias Zwick


MDLP : Sur vos photos, on aperçoit majoritairement des hommes. Comme en Europe, est-ce un sport pratiqué en grande partie par des hommes en Iran ?

M Z : Oui, ce sport est là-bas majoritairement pratiqué par les hommes, comme en Occident d’ailleurs, la communauté est plus masculine. J’ai été cependant surpris de constater que beaucoup de filles s’y mettent. En quinze ans de pratique en France, j’ai vu beaucoup moins de skateuses qu’en un mois et demi en Iran. Ce qui est encore plus surprenant est que le sport est très compartimenté là-bas. Le skate est donc une des rares activités que j’ai pu voir pratiquer de manière mixte : les filles font du skate avec les garçons sans se faire réprimander, y compris dans les skateparks.

MDLP : Selon vous que traduit cet engouement pour le skate ?

MZ : Je pense que cet attrait pour le skate, et plus globalement pour la culture occidentale, est lié au désir d’ouverture des jeunes. Ils sont tous extrêmement connectés, sur Internet et sur les réseaux sociaux, et sont informés de ce qui se passe d’un point de vue culturel dans le monde. Pour des raisons financières et surtout à cause de l’inflation, il est difficile pour eux de sortir du pays et d’aller en Europe, par exemple. C’est donc une façon de s’ouvrir au monde et de voyager étant donné qu’ils ne peuvent pas le faire physiquement. Pour revenir au skate, ce sport reste cependant confidentiel, même si a Téhéran la municipalité à construit deux gigantesques skateparks en béton qu’on ne trouve même pas à Paris ! On ne compte que deux mille skaters dans tout le pays.

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Crédit photo : Mathias Zwick

MDLP : D’après ce que vous avez pu observer, s’agit-il d’une tendance ponctuelle ou d’un réel changement des mœurs ?

M Z : En un mois et demi, c’est difficile de donner une réponse précise, mais je pense tout de même qu’en ce moment, il y a un changement des mœurs en Iran. Sans réellement m’avancer, on sent que les gens ont moins peur de dire ce qu’ils pensent et de vivre comme ils le veulent. Ils se cachent de moins en moins. J’aurai même tendance à dire que la sphère publique et la sphère privée commencent doucement à fusionner. À Téhéran, par exemple, il y a une importante scène alternative. Il y a énormément de musiciens, de groupes de rock et de rappeurs. J’ai également croisé des graffeurs, des gens qui font du break ou du parkour. J’ai aussi rencontré des jeunes filles qui font du tatouage dans leur appartement, car c’est illégal. Il y a un attrait pour les cultures underground.

MDLP : Comment cette occidentalisation est-elle perçue par les moins jeunes ?

M Z : Elle est bien acceptée et ce sont souvent les parents qui paient les planches. Globalement, les familles sont ouvertes, même si elles restent très protectrices, surtout avec les filles. Certaines d’entre elles m’ont raconté que c’était plus compliqué pour elles d’être dans la rue et de trainer avec des garçons. Mais les jeunes iraniennes sont indépendantes alors elles y vont quand même.

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Crédit photo : Mathias Zwick


MDLP : En tant qu’Occidental, avez-vous rencontré des difficultés pour vous rendre en Iran et pour vous déplacer une fois sur place ?

M Z : J’ai eu quelques craintes à l’aéroport. J’ai eu peur qu’à cause de mes appareils et de mes pellicules on me prenne pour un journaliste. Mais je n’ai pas vraiment eu de problèmes, que ce soit pour mon séjour ou pour les prises de vues. Il faut dire qu’avant de partir, j’avais un très bon contact – le gérant du skateshop – qui connaissait toute la communauté de skaters du pays. Ça m’a aidé à voyager assez facilement et en une journée, j’avais déjà une vingtaine d’amis à Téhéran ! Une fois ou deux, il m’est cependant arrivé que certaines personnes me posent des questions un peu étranges. Je sais qu’il y a des gens qui renseignent le gouvernement. Je suis resté naturel, car je n’avais pas grand-chose à cacher. On ne s’est donc pas méfié de moi plus que ça.

MDLP : La majorité vos clichés ont été pris en argentique. Expliquez-nous la raison de ce choix ?

M Z : J’ai commencé avec l’argentique, c’est donc plus par habitude. J’aime les rendus qu’il procure. L’argentique est aussi une façon de prendre une photo qui me correspond. Lorsque j’en fais, je prends plus de temps pour regarder autour de moi et observer au lieu d’appuyer frénétiquement sur l’appareil. Ça m’a beaucoup aidé en numérique : avant de prendre une photo je réfléchis aussi un peu plus en amont.

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Crédit photo : Mathias Zwick


MDLP : Avec quel type de matériel travaillez-vous ?

M Z : En ce moment, j’utilise un Nikon FM2. Pour Une poussée vers l’Ouest j’ai aussi utilisé un Hasselblad 500 CM et un boîtier numérique, le Nikon D800. J’essaie de plus en plus de m’intéresser au tirage et à tout ce qui se passe dans une chambre noire contrairement à mes débuts. À l’époque, je faisais tout développer et tirer.

MDLP : Pensez-vous continuer cette série ?

M Z : Je ne pense pas poursuivre cette série. Ce qui m’intéresserait en revanche, c’est de continuer sur cette lancée et donc de retourner au Moyen-Orient pour montrer quelque chose de différent. J’ai envie de raconter d’autres histoires, de montrer d’autres visages et une autre image de certains pays qui ont parfois une mauvaise réputation. Mais surtout, sans être utopiste, photographier ces peuples en les dissociant des gouvernements.

- Le site de Mathias Zwick

Propos recueillis par Sandrine Dippa

Crédit image d’accueil : Romain Brachet

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