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Mélanie Desriaux : « J’utilise la photographie comme un outil d’arpentage et de convocation du réel »

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08/06/2020 | Sandrine Dippa

Il y a tout juste un an, Mélanie Desriaux remportait le premier prix de la troisième édition du Vincennes Image Festival. Après Guillaume Noury (2015) et Olivier Zolger (2017), la photographe s’est distinguée avec sa série La conquête. Les clichés, réalisés aux États-Unis, répondaient à la thématique « Homo Sapiens 2019 ». Retour sur son parcours depuis l’obtention de son prix.

Le Monde de la Photo : Pouvez-vous revenir sur votre parcours de photographe...
Mélanie Desriaux : Je suis diplômée de l’École Européenne Supérieure d’Art de Bretagne, agrégée d’arts plastiques, spécialité photographie, et diplômée du Master professionnel Édition d’Art – Livre d’artiste. Je partage mon temps entre recherche personnelle, enseignement, et commandes. Dernièrement, j’ai exposé mon travail aux Rencontres d’Arles et à l’International Photo Festival InCadaqués. En plus du premier prix du Vincennes Images Festival, j’ai remporté le premier prix Fisheye magazine, remis par Théo Gosselin et Maud Chalard, avec ma série Sur la route de l’Oregon. Mon travail est régulièrement publié par des magazines comme 9 Lives magazines, Analog magazine, C 41 Magazine, of the land & us, Latent, Der Greif, Phases Magazine, Spurl Editions et Fisheye Magazine. Mes thèmes de prédilection sont l’altérité et l’exploration.


MDLP : L’an dernier, vous avez remporté le prix Vincennes Images Festival avec votre série La conquête. Parlez-nous de ce projet...
M.D : Au 19e siècle les États-Unis sont scindés en deux. À l’est les migrants se dirigent vers les villes, à l’ouest les contrées sauvages sont peuplées des tribus amérindiennes. Ces vastes étendues de terre sont l’objet de toutes les convoitises ; c’est le début de la conquête de l’Ouest. Dans ce décor, un personnage fait son apparition : Martha Canary, appelée Calamity Jane. Calamity Jane rejoint les convois de pionniers sur la Piste de l’Oregon. Principale voie terrestre franchissant les Rocheuses, la Piste de l’Oregon traverse cinq états ; plus de trois cent cinquante mille pionniers ont parcouru cet itinéraire de 1841 à 1869. Entre tempêtes et bêtes sauvages, les voyageurs partaient pour quatre à cinq mois d’un périple qui couvrait plus de trois mille kilomètres. Il y avait tout à faire, tout était possible. Le 1er août 1903, Calamity Jane arrive au terme de son voyage. Le monde sauvage a laissé place à la modernité ; les fanzines feront de l’Histoire une fiction, l’industrie du cinéma produira le premier western qui forgera le mythe de la conquête de l’Ouest. Calamity Jane devenait une légende.

MDLP : Quelle est la genèse de cette série ?
M.D  : La genèse de la série La conquête est ce passage tiré du recueil Calamity Jane, Lettres à sa fille :
« Je suis malade et n’ai plus longtemps à vivre. J’emporte de nombreux secrets avec moi, Janey. Ce que je suis et ce que j’aurais pu être. Je ne suis pas aussi noire qu’on m’a dépeinte. Je veux que tu le croies. Mes yeux m’ont privée du plaisir que je pouvais prendre à regarder ta photo. Je ne peux plus voir pour écrire. Je dois te dire quelque chose. Si jamais tu viens ici, répare ma vieille maison et ne manque pas d’aller trouver le général Allen, de Billings. C’était un bon ami. Il y a quelque chose que je devrais te confesser, mais je ne peux tout simplement pas. Je l’emporterai dans ma tombe : pardonne-moi et songe que j’étais solitaire. »

Je me suis projetée dans cette histoire. J’avais perdu ma mère, je vivais une histoire d’amour douloureuse, j’avais décidé de prendre une année pour réfléchir sur ce que je désirais vraiment. Je me sentais « sur la route » – c’est-à-dire sans attaches – avec ce que cela suppose comme sentiment de liberté et de peur. Les États-Unis se prêtent à cet état d’esprit. La spécificité américaine, c’est son histoire liée à la frontière. Frederick Jackson Turner parlait d’une tradition géographique, avec comme particularité son caractère nomade. Il y a l’idée d’un environnement, parfois hostile, à conquérir ; un désir de passer les frontières comme de se dépasser soi-même. Ensuite, la découverte des lettres de Calamity Jane à sa fille m’a permis d’amorcer le projet et d’établir un plan de route. Mais le fait que ces lettres soient fictives renforçait ce que j’aime mettre à l’œuvre dans mes projets : ce moment où le document bascule dans la fiction.


MDLP  : Comment définiriez-vous votre écriture photographique ?
M.D : Mon écriture photographique est à la fois documentaire et narrative. J’utilise la photographie comme un outil d’arpentage et de convocation du réel. Je m’attache à dépasser le spectacle du voyage et de l’exotisme pour interroger ce qui constitue un territoire et l’émergence de l’altérité. J’amorce des histoires à partir des ruines de l’Histoire. La photographie qui m’intéresse contribue à une élaboration du réel sans en ignorer sa plurivocité ni son opacité. Dans mon travail, la construction de structures symboliques et imaginaires prime sur la restitution d’une possible vérité. J’ai le sentiment d’apprendre à me connaître au contact de l’autre. Au cours de cette confrontation à l’inconnu, il y a une métamorphose, l’idée que nous sommes en devenir. Cette altérité et ces traversées se mélangent toujours au doute et à l’errance ; ils font donc partie du cheminement et font peut-être même écho à cette latence de l’image. J’aime l’idée d’être l’héroïne d’un film dont je ne connais pas le scénario. Ceux que je rencontre font partie de cette histoire qui se construit au bord de la route. Je suis donc touchée par ce qui se passe dans cette faille, entre leur fragilité et leur puissance d’être.


MDLP : Comment travaillez-vous ?
M.D  : Je lis et j’établis des correspondances entre l’Histoire, des histoires et mon histoire personnelle. Ce sont souvent des projets au long cours. Et j’établis une feuille de route. J’aime prendre la route. C’est pour moi une façon de fantasmer une nature sauvage, de changer mes repères, mes habitudes, et de réévaluer ses perceptions. Je peux passer beaucoup de temps dans un espace qui m’anime (topographie, couleurs, lumière) et attendre un visage, une scène ; la rencontre. À d’autres moments ce sont les gens qui m’invitent, directement ou indirectement, dans leur espace. Alors j’observe.

MDLP : Quel équipement privilégiez-vous ?
M.D  : Je travaille essentiellement avec le Voigtlander Bessa 667. C’est un appareil moyen format compact, léger et silencieux. La latence de l’argentique correspond au rythme de construction de mes images. Je travaille lentement. Et la matérialité de l’image argentique est essentielle pour moi. Elle est une captation physique.


MDLP : Quelles ont été les retombées sur votre vie de photographe depuis l’obtention du prix ?
M.D : Ce prix m’a permis de faire de belles rencontres, d’exposer mon travail à la galerie HEGOA avec la bienveillance et le professionnalisme de Nathalie Atlan Landaburu, et de me conforter dans la poursuite de ma recherche photographique à un moment où je retournais aux États-Unis pour réaliser Les passagers du Mississippi.

Photos : Mélanie Desriaux

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