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Regard sur l’image, un livre rare et passionnant

28/08/2010 | Benjamin Favier

Journaliste, photographe, enseignant, Hervé Bernard signe un livre singulier et envoûtant. Il s’interroge sur la nature de l’image et ses différentes formes. Une œuvre empreinte de sagesse, vivement conseillée en ces temps pixellisés.

Impossible de ranger cet ouvrage dans une catégorie : livre photo ? enquête ? thèse illustrée ? Manuel d’apprentissage ? Regard sur l’image se nourrit de tous ces genres. Le titre, a priori vague, a le mérite d’annoncer clairement la couleur. Dans une préface amicale et complice, Peter Knapp, célèbre directeur artistique et photographe suisse, loue l’entreprise. Hervé Bernard ne se contente pas ici de montrer de l’image. Il l’analyse sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de peinture, séquences animées, ou bien sûr, de photographie. Et essaie d’interpréter ces différentes représentation du réel, forcément subjectives : « Que l’on photographie, filme ou peigne, on fige non seulement les événements, objets, personnages… mais aussi le point de vue physique adopté. Cette immobilisation est donc spatiale et temporelle. » Le photomontage et la retouche ne sont pas oubliés. C’est le point de départ d’une œuvre très dense, fruit d’une démarche philosophique.

Étymologie

L’ouvrage est scindé en trois parties. La première, consacrée à la photographie, soulève d’emblée de multiples questions. Le procédé est simple. Pour chaque terme, l’auteur rappelle une définition… pour mieux souligner son ambiguité. Ce qui donne lieu à des passages savoureux : « Rien n’est plus in-objectif, c’est-à-dire sans objectivité, que le choix d’un objectif. » Hervé Bernard s’amuse ainsi à reprendre les mots les plus courants, tels que « couleur », « illustration » ou « photographie ». Cite des penseurs de tous horizons : Platon, Lacan, Heisenberg, etc. Le moindre concept est remis en question, abordé sous un angle différent. Plus complexe. Pourtant, le propos est limpide. Phrases courtes, notes idéalement placées sur les côtés, choix de schémas judicieux : la mise en page aide le lecteur à ne pas perdre le fil. Manquent seulement les crédits photos, mentionnés seulement à la fin de l’ouvrage. Aussi à l’aise dans le domaine argentique que numérique, il aborde l’épineux choix de la composition. La comparaison avec la peinture s’avère très pertinente. Tandis que le peintre va travailler à partir de son cadre, déjà existant, le photographe va quant à lui décider d’inclure ou d’exclure tel ou tel élément du décor. Avec à sa disposition, divers focales,ou formats, permettant d’optimiser ce choix. Encore une fois, le constat paraît simple. Mais qu’il est bon de revenir aux fondamentaux avec une telle fraîcheur…

Perception

La seconde partie, dédiée à l’œil et à son fonctionnement, si elle n’est pas dénuée d’intérêt, résulte d’une approche beaucoup plus scientifique. On pourra la consulter pour éluder des points précis, à l’occasion. En revanche, le chapitre intitulé La perception : image et culture s’avère incontournable. Il s’accapare d’ailleurs les deux-tiers de la pagination. Le contenu s’inscrit dans la veine de la première partie, assorti de nombreuses références à la peinture (Bacon), au cinéma (Antonioni et son chef d’œuvre, Blow Up, qui met en scène un photographe), à la photographie (Brassaï), mais aussi aux travaux de Baudelaire ou Hergé ! Parce que l’image est universelle et omniprésente. Affiches politiques, planches de BD, fresques antiques… Ces œuvres sont décryptées sous le prisme de la perspective et de la couleur. Avec toujours, en creux, cette question : réalité ou fiction ? Lire à ce sujet l’anecdote des pantoufles de Picasso, mises en scène par Brassaï lors d’une prise de vue (p. 194).

Photophones

Hervé Bernard vit parfaitement bien à l’ère numérique. La troisième partie, qui traite de la perception, en atteste, tant les références sont variées et pour la plupart, ancrées dans notre époque. Néanmoins, il juge que l’abondance nuit à la qualité. Il estime d’abord que l’image a du mal à trouver sa place, dans un magazine ou sur un fichier PowerPoint, par exemple. Mais cette problématique a toujours existé. Le quotidien Le Monde a longtemps délaissé la photo, avant de l’intégrer et de lui donner une place de plus en plus importante dans les années 2 000. Mais on comprend mieux son point de vue quand il aborde le phénomène des téléphones portables, de plus en plus dotés d’appareils photos. Il les baptise ironiquement « photophones ». Ces objets contribuent, selon lui, à la banalisation de l’image : « Cette omniprésence renforce ou provoque un appauvrissement de l’image, parce qu’avec le téléphone portable tout mérite, tout doit être photographié, il ne faudrait pas s’arrêter. Position antinomique à l’idée de création. »
On peut regretter un avis si tranché. Il faut reconnaître le pouvoir ludique et créatif qu’exercent certaines applications iPhone par exemple, sur les utilisateurs, qui sont parfois des photographes professionnels. Une utilisation qui n’est pas incompatible avec cette formule, rappelée par l’auteur : « Photographier, c’est savoir ne pas appuyer sur le déclencheur. »
En ouvrant à nouveau le livre à la première page, on sourit à la lecture des deux citations, aux sens contradictoires, mentionnées en préambule : l’une dénonce l’absence d’éducation visuelle. L’autre encourage au contraire la construction du regard sur le tas. Cet ouvrage réconcilie les deux : il éduque et invite à expérimenter.

- Nota Bene : Malheureusement, ce livre est seulement en vente dans certains musées. Citons notamment la librairie du Jeu de Paume, à Paris, la librairie du Carrousel du Louvre ou le Musée de l’Élysée, à Lausanne. Il est toutefois possible de le commander en ligne, sur le site d’Hervé Bernard.

- Regard sur l’image, par Hervé Bernard
- Éditions Regards & Impressions
- 350 pages
- 50 €

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