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Reza : « Pour moi, la photo est un langage »

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02/01/2015 | Benjamin Favier

Homme engagé, Reza s’apprête à publier deux ouvrages sur l’Azerbaïdjan. Bien qu’il vive à Paris depuis de nombreuses années, il reste fortement influencé par la culture du Moyen-Orient. Nous l’avons rencontré pour évoquer ce retour aux sources et faire le point sur son parcours et sa vision du métier de photojournaliste.

C’est dans le péristyle qui entoure le jardin du Petit Palais, que nous avons rencontré le photographe Franco-iranien : il y a exposé, du 25 novembre au 7 décembre dernier, une série d’images extraites d’un reportage entamé en 1987, en accès gratuit. Un laps de temps trop court pour venir admirer cette série de photos généreusement légendées, dont l’intégralité figure dans deux livres, L’élégance du feu et Le massacre des innocents, à paraître prochainement. Assis autour d’un café, nous avons pris le temps, Reza n’étant pas avare de mots, qu’il prononce dans un Français parfaitement maîtrisé, avec une douceur très orientale. Âgé de 62 ans, il repart régulièrement dans le Kurdistan irakien, poursuivre sa double mission : informer, tout en aidant la population de réfugiés sur place.

- Que représente ce projet sur l’Azerbaïdjan pour vous ?

J’ai quitté l’Iran le 25 mars 1981, à 7h30. Je n’y suis pas retourné depuis. Cela fait plus de trente-trois ans. J’ai essayé de mettre cet exil forcé à profit et d’en faire une force. J’ai beaucoup lu Victor Hugo, qui a lui aussi connu l’exil. Ce projet, tout comme ceux sur l’Afghanistan, sont les deux piliers qui m’ont aidés à poursuivre mon travail de photojournaliste. Dans le même temps, cela m’a donné l’opportunité de m’ancrer dans la culture au sein de laquelle j’ai grandi, à mi-chemin entre l’Afghanistan et l’Azerbaïdjan.

- Avez-vous envie d’y retourner ?

L’envie d’y aller est présente. Mais j’ai délibérément choisi de ne pas m’y rendre. D’une part, car je me ferais arrêter à cause de mes prises de position et de mes photographies, prises contre le régime ; et d’un autre côté, je ne veux pas devenir la caution du régime si on me laisse tranquille. Ils pourraient dire : « Voyez, il est venu, nous n’avons rien fait. »

- Votre démarche fait écho à celle de Salgado…

Nous avons un parcours similaire. Salgado, Brésilien d’origine, est Français comme moi : nous sommes arrivés la même année à Paris. Et récemment, nous sommes tous les deux retournés sur nos terres. J’aide les enfants irakiens réfugiés et j’ai créé une association, Ainaworld, d’aide aux journalistes afghans. De son côté, Salgado ambitionne de replanter 2,5 millions d’arbres dans le Minas Gerais, sa terre natale.

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Portrait de Reza dans le péristyle du Petit Palais. Photo : Benjamin Favier

- Comment définiriez-vous votre rôle ?

Je fais les choses par conviction personnelle. Ce n’est pas un métier ou un travail. Je ne pense pas à la retraite. Il faut que je retourne dans ce camp, amener des appareils photo, former les enfants. Aller sur le front pour parler aux soldats, voir qui ils sont, pourquoi ils sont là. C’est cela qui me pousse à y retourner, mais aussi parce que je vois les résultats de mon travail. Notre rôle, ce n’est pas juste de scanner la guerre. Nous sommes des êtres humains. Notre but est d’amener le plus gens à devenir anti-guerre, c’est évident.

- En quoi êtes-vous différent de vos confrères ?

Lorsque mes confrères européens ou américains sont sur une scène de guerre ou dans un pays sous-développé, ils voient la situation à travers le prisme de leur culture occidentale. Je viens d’un pays qui a connu la révolution, les conflits : quand les femmes dans les camps de réfugiés pleurent leurs enfants morts, elles le font dans une langue que je comprends. Mes collègues, quand ils sont là, ont beau avoir toute l’empathie du monde, ils restent le photographe, le reporter, l’observateur venu rapporter des faits. Moi je le vis. Par cela, mon engagement personnel et humanitaire dépasse le cadre du photojournalisme.

- Devant le flux continu sur les réseaux sociaux, pensez-vous que le pouvoir de l’image fixe est toujours intact ?

Comment ne pas croire au pouvoir de l’image ! On dit qu’il y a trop de photos, pourquoi ne pas dire qu’il y a trop de texte ? Ou trop de romans ? De journaux ? Je préfère qu’il y ait un maximum de gens lettrés, pour comprendre la poésie. Si les Français n’étaient pas cultivés, ils ne comprendraient pas Rimbaud. J’espère que tout le monde un jour aura un appareil photo. Pour moi c’est un langage. J’ai envie que les gens comprennent les nuances de notre travail.

« Si vous voyez des événements autour de vous, photographiez-les, il en restera toujours quelque chose ! »

- Vous ne faites pas que prendre des photos : vous formez également des jeunes pour qu’ils témoignent avec un appareil…

Ceux qui vivent l’histoire la racontent autrement. Dès 1983, j’ai commencé à former de jeunes réfugiés afghans en leur donnant de petits appareils photo achetés sur les marchés de Peshawar en leur disant : « Voila comment ça marche, gardez-les sur vous et si vous voyez des événements autour de vous, photographiez-les, il en restera toujours quelque chose ! ». J’ai depuis créé un centre de formation à Kaboul, à travers l’association Ainaworld, avec un accès à Internet, des éclairages, pour former des photographes. L’un d’eux a gagné le prix Pulitzer en 2012 : il s’appelle Massoud Hosseini.
Deux ans après, en Afrique du Sud, dès qu’il y avait un problème dans les townships, les policiers faisaient comme en Israël et décrétaient des zones où la sécurité n’était plus garantie aux journalistes. Ils se dédouanaient ainsi de toute responsabilité en cas de tir sur l’un d’entre nous. J’ai donc formé des jeunes locaux à la photographie en leur disant de prendre des images de l’intérieur, depuis leur domicile. L’un d’eux est devenu directeur photo d’Associated Press dans le pays. Je ne les forme pas en leur disant : « Je vais vous apprendre la photographie ». Jamais. Je leur explique qu’avec cet outil, ils peuvent raconter au monde tout ce qu’il se passe chez eux.

- Quel est votre regard sur l’ère numérique ?

Le meilleur outil, c’est l’œil. Je reste frustré par rapport aux appareils, même les meilleurs : ce que je vois, aujourd’hui, il n’y a pas un seul appareil qui puisse le rendre. Avant le numérique, je faisais 75 % de mes photos avec mes Leica, et j’ai utilisé les mêmes boîtiers pendant vingt ans ! Aujourd’hui il faut tout renouveler constamment, des appareils jusqu’aux disques durs et ordinateurs. Nous, les professionnels, souffrons de cela. En reportage, je partais avant le lever du soleil – ce que je fais encore aujourd’hui – et je finissais un peu après le coucher, car on ne pouvait pas trop aller au-delà avec les films ; selon la ville, l’endroit, nous nous retrouvions avec d’autres collègues dans un bar. Nous rencontrions des gens. Aujourd’hui, tout cela est fini. Il faut charger les batteries, vider les cartes, faire des copies sur plusieurs disques durs, etc. On se fatigue plus au final et on a perdu ce lien social.

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Portrait de Reza dans le péristyle du Petit Palais. Photo : Benjamin Favier

- Est-il devenu impossible de mener des reportages sur le long terme, même pour vous ?

Avec National Geographic, les conditions de travail sont excellentes. Une fois le sujet défini, nous nous réunissons avec la rédaction, nous nous mettons d’accord sur la manière d’aborder le projet, puis nous partons à deux, un journaliste et un photographe en se disant « à dans trois mois ». Le photographe est maître du sujet, jusqu’à la mise en page, aux côtés du directeur artistique. En plus de cela, c’est lui qui décide du temps à passer sur le terrain : il va dire si ça vaut le coup de passer deux ou trois jours à un endroit, pour avoir telle ou telle lumière.

- Comment parvenez-vous à financer vos actions humanitaires ?

C’est grâce à mes expositions, mes livres, mes conférences, que j’arrive à financer mes projets humanitaires. Très vite, j’ai compris une chose : à 99 %, les ONG ou associations perçoivent des donations d’ordre politique ou idéologique. Et si vous ne demandez rien, mais faites un projet qui ne plaît pas à untel ou untel, vous risquez de vous faire des ennemis et vous voir mettre des bâtons dans les roues à tout moment. C’est une vraie bataille.

Propos recueillis par Benjamin Favier

L’avenir d’Ainaworld en Afghanistan


Reza parle de la difficulté de mener des actions sur le terrain, y compris dans la capitale : un attentat revendiqué par les talibans a récemment visé l’Institut français d’Afghanistan, à Kaboul et les forces de l’Otan se retirent du pays…

« On travaille beaucoup pour former des journalistes, surtout des femmes. Nous avons éparpillé nos actions dans différents endroits de la ville. Avant nous étions à une seule adresse, mais pour des raisons de sécurité, nous avons investi plusieurs petites maisons et retiré toute plaque mentionnant notre identité. Nous avons créé La voix des femmes afghanes, en 2003, la seule station pour les femmes dans le pays : elle émet plus de onze heures par jour et quelque cinq millions d’auditeurs, ce qui en fait la troisième radio du pays. Nous avons formé plus d’un millier de personnes.
Les forces de la coalition ont dépensé plus de dix milliards de dollars par mois, pour la guerre, en quatorze ans… pourtant, aujourd’hui, toutes les rues de la capitale ne sont pas asphaltées, tout le monde n’a pas accès à l’électricité et Kaboul est remplie de bidonvilles. L’an dernier, à cause du froid, des dizaines d’enfants sont morts à cinquante mètres des bases américaines, censées venir en aide au peuple… La vérité c’est que aujourd’hui en Afghanistan, il n’y a ni un vrai président, ni un vrai premier ministre, ni un vrai gouvernement. Les années à venir seront encore des années noires pour le pays. Peut-être même pire. Si on juge simplement les faits en comparant la situation en 2001, et aujourd’hui, le constat est implacable. Le commandant Massoud s’est battu efficacement pendant six ans avec quinze mille hommes et peu d’armes. Depuis quatorze ans, les armes et ordinateurs les plus sophistiqués se battent contre les talibans, mais ces derniers sont cent fois plus forts et plus riches qu’auparavant. Pour nous, en tant qu’association, l’avenir s’annonce très dur. Mais je suis fier d’une chose : ces milliers de gens que nous avons formés, vont résister à l’obscurantisme taliban. Pas les soldats formés par les Américains. »

- Photo accueil : Portrait de Reza © Benjamin Favier

- Le site de Reza

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