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Robert Frank : décès du photographe américain

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11/09/2019 | Sandrine Dippa

Robert Frank est décédé le 9 septembre à l’âge de 94 ans. Ce monument de la photographie américaine avait notamment marqué les esprits avec son ouvrage Les Américains, paru en 1958.

Robert Frank est décédé lundi 9 septembre en Nouvelle-Écosse à l’âge de 94 ans, a annoncé l’AFP hier. Le photographe, né à Zurich en 1924, considéré comme l’un des plus importants de sa génération, était notamment connu pour son ouvrage Les Américains. Le livre paru en 1958 aux éditions Delpire rassemble des clichés en noir et blanc pris durant un périple de deux ans à travers les États-Unis.

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Les Américains, paru en 1958 aux éditions Delpire.
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Parade – Hoboken, New Jersey, 1955
Extrait du livre Les Américains.

The Americans

C’est en 1955 – grâce à une bourse de la fondation Guggengheim – que le photographe arrivé en 1948 aux États-Unis commence son voyage qui l’amènera à traverser les 48 états (Tennessee, Alabama, Mississippi, Arkansas, Louisiane, Texas, New Mexico, Arizona, Nevada, Utah, Idaho, Montana, Wyoming, Nebraska, Illinois, Ohio…). Le projet, inspiré par The English at Home (1936) de Bill Brandt et American Photographs (1938) de Walker Evans – dont il admire les travaux – dresse de manière brute un portrait de la société américaine des années 50. S’éloignant des standards de l’époque (ici les plans léchés ont laissé la place aux lignes de fuite et aux horizons inclinés ainsi qu’aux images prises sur le vif), la série dépeint les différentes strates de cette société, minée par la ségrégation, le racisme, la pauvreté et la solitude, insistant ainsi sur la face sombre du Rêve américain. « Vous regardez ces photos, et à la fin vous ne savez plus du tout quel est le plus triste des deux, un juke-box ou un cercueil », écrivait son ami, l’écrivain Jack Kerouac dans la préface du premier tirage du livre à propos de ce travail s’inscrivant dans le mouvement beat. Si l’auteur de Sur la route, Allen Ginsberg et William S. Burroughs – tous les trois initiateurs du mouvement dans les années 50 – représentent le côté littéraire de la beat generation, avec sa photographie non idéalisée, Robert Frank est considéré comme le pendant « image » du mouvement. « Je ne crois pas avoir voyagé en suivant les voies de la beat, mais il semblerait que nous nous soyons entendus », s’en amusait cependant le photographe avant d’ajouter : « Je ne me suis jamais considéré comme un beatnik moi-même ».

Avec ses images sans concession et son regard neuf, Robert Frank peinera à trouver un éditeur aux États-Unis. Plus tard, ses clichés seront d’ailleurs – à cette époque – qualifiés par la presse américaine de « tristes, amers et subversifs », comme le rappelle le New York Times dans un hommage publié sur son site. C’est en France, aux éditions Delpire (collection Encyclopédie Essentielle), que paraîtra la première édition du livre Les Américains. L’ouvrage comporte 83 photographies issues d’un corpus de plus de 20 000 images. « Quand je regarde les 83 photos que j’ai choisies pour le livre, je me dis que j’ai capté l’essence », dira le photographe à propos de cette sélection drastique. La version américaine paraîtra 1 an plus tard chez Grove Press. Le livre désormais culte fera aussi l’objet d’une réédition en 2008, à l’occasion de ses 50 ans (éditons Steidl), et d’une rétrospective au Musée de la Photographie de Charleroi l’an dernier.

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Funeral – St. Helena, South Carolina, 1955
Extrait du livre Les Américains.
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Elevator – Miami Beach, 1955
Extrait du livre Les Américains.

Robert Frank et le cinéma

Si Robert Frank a marqué le monde de la photographie avec ses clichés, il fut aussi un cinéaste expérimental prolifique. Dès le début des années 60, il met son appareil de côté afin de se consacrer pleinement au Septième art. Il réalisera de nombreux films dont Pull My Daisy (1959), un court métrage de 30 minutes avec des textes écrits et lus par Jack Kerouac, ou encore le sulfureux Cocksuckers Blues (1972). Le documentaire – jamais distribué en raison d’une interdiction du groupe – retrace la tournée des Rolling Stones en Amérique du Nord. Réalisé à l’occasion de la sortie de leur Album Exile on Main Street, il montre les concerts mais aussi les backstages de façon crue (scène de drogue, orgies...).

En 2015, Robert Frank était passé de l’autre côté de la caméra sous l’œil de son amie la réalisatrice, Laura Israel : le documentaire Don’t Blink retrace sa longue carrière.

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Affiche de Don’t Blink (2015) de Laura Isreael. Le film documentaire retrace la carrière du photographe et cinéaste Robert Frank.

Depuis l’annonce de son décès, de nombreuses personnalités du monde de la photographie lui ont rendu hommage. « Ses images, à commencer par celles des Américains, possédaient une force inouïe », confiait à ce propos Raymond Depardon, ce matin, à Libération. Jean-Luc Monterosso, fondateur et ancien directeur de la Maison européenne de la photographie (MEP), souligne quant à lui l’importance de l’œuvre du photographe qui « a fait basculer la photographie moderne dans la photographie contemporaine ».

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Robert Frank has passed away at 94. As one of the key figures in postwar American art, Frank has never wanted for recognition. Few works in the history of photography have landed a punch as woozying as that book, "The Americans." An unconsoling portrait of his adopted country, the 83 photographs in the book are a record of the Swiss-born Frank's on-the-road travels in 1955 and 1956. It is a country of empty highways and drained faces in barrooms, divided by race and income. Frank's people seem bereft, beaten. It's a portrait by an outsider identifying to his fingertips with other outsiders. "In America, they had another tone, the pictures," Frank told @nytmag in 1994. "One became aware of white cities, black people, no money, no hope. The noise. The violence. How brutal people were. A brutal country. Still is. And I began to be part of it." Read the 1994 piece at the link in our bio. #RobertFrank photographed by @eugenerichardsphotography

Une publication partagée par The New York Times Magazine (@nytmag) le

Robert Frank laisse derrière lui une vingtaine d’ouvrages (The Lines of my hand (1972), London Wales (2003), What We have Seen (2016), Good Days Quiet (2019)...) et autant de films (Pull My Daisy (1959), Me and My Brother (1965-1968), Candy Mountain (1988)...). Son travail avait aussi été présenté dans le numéro 10 de la collection Photo Poche d’Actes Sud (2001). Le photographe avait également remporté un Hasselblad Foundation International Award in Photography en 1996 et un Edward MacDowell Medal, récompensant une personnalité s’étant illustrée dans le domaine des arts ou de la culture américaine, en 2002. Sa patte aura surtout influencé toute une génération de photographes dont Lee Friedlander, Diane Arbus, Garry Winogrand et Ralph Gibson dont il fût le maître.

Crédit image d’accueil : R.Frank, New York, juillet 1988 Copyright : Gilles Mora

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