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Une photo prise pendant mille ans : les coulisses du projet

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16/03/2015 | Sandrine Dippa

L’artiste conceptuel et philosophe américain Jonathon Keats a un projet fou : prendre une photo avec une exposition de mille ans ! Il nous explique la genèse de ce projet et les aspects techniques utilisés pour construire son « appareil millénaire ».

Jonathon Keats, un artiste conceptuel originaire de San Francisco, s’apprête à prendre la photo la plus longue de l’histoire. Grâce à un appareil qu’il a imaginé et conçu, le philosophe espère capturer, sur un même cliché, l’évolution des paysages sur mille ans. C’est sur la terrasse de l’Arizona State University Museum à Tempe, une ville « qui connait beaucoup de mutations », que Keats a mis en place sa curieuse machine à capturer le temps.

D’où vient cette envie de créer un appareil avec un temps de pose aussi long ?

Jonathon Keats : Je vis à San Francisco, une ville qui change beaucoup. Lorsque je suis en voyage et que je rentre, je suis souvent frappé par la façon dont la ville change en quelques instants, même si cette impression ne dure pas. Et puis avec le temps, on s’habitue aux changements.
Je suis aussi passionné par la photo. J’ai souvent expérimenté des techniques anciennes, comme le cyanotype, qui demandent de la patience. Le temps d’exposition, qui peut durer des heures, voire des jours ou des semaines, est tout aussi important que le sujet photographié. Ce projet vient donc d’une combinaison de deux aspects. La ville dans laquelle je vis et l’envie de voir et montrer les choses changer à travers une photo.

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Vue de dessus de l’appareil millénaire.

Y a-t-il eu des projets intermédiaires ?

J K : Oui. L’an dernier je me suis rendu à Berlin, une ville qui connait une gentrification fulgurante. En collaboration avec le collectif d’artistes Team Titanic, j’ai fabriqué cent sténopés qui doivent être exposés pendant 100 ans. Pour 100 €, les Berlinois qui le souhaitaient peuvent se procurer un appareil et le planquer dans leur quartier. Certains d’entre eux devront sans doute révéler leurs cachettes à leurs enfants pour qu’ils retrouvent les appareils et puissent voir les mutations de la ville en 2114 ! Pour aboutir à « l’appareil millénaire », j’ai amélioré ceux conçus à Berlin en augmentant le temps d’exposition.

« Je me suis inspiré d’une technique de peinture sur cuivre du XVI ème siècle »

Pouvez-vous nous en dire plus sur les matériaux utilisés pour construire « l’appareil millénaire » ?

J K : Je me suis beaucoup inspiré de l’archéologie et de la conservation de l’art. L’appareil est en cuivre, un métal qui en se patinant avec le temps formera une couche protectrice. C’est un appareil solide conçu pour résister dans le temps. Sur la partie avant de ce cylindre en cuivre, il y a une feuille d’or de 24 carats (un matériau qui ne se corrode pas) percée d’un trou de la taille d’une petite épingle. Je me suis aussi inspiré d’une technique de peinture sur cuivre du XVI ème siècle en recouvrant de peinture à l’huile l’arrière de l’appareil. Un pigment rose garance a aussi été utilisé. Il s’agit d’une couleur organique ancienne qui, d’après les études sur la conservation, s’estompe de manière très progressive à la lumière du soleil.

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L’appareil photo millénaire installé à l’Arizona State University Museum à Tempe (Arizona).

Comment marche l’appareil ?

J K : « L’appareil millénaire » utilise un processus de blanchiment progressif. Pour comprendre, il suffit de penser à ce qu’il se passe lorsqu’on laisse un magazine sur une table pendant longtemps. Les couleurs finissent par s’estomper. La même chose se produit avec des peintures à l’huile. Avec la lumière du soleil, les couleurs s’atténuent. C’est d’ailleurs une des hantises des conservateurs de musées d’art !

Si on projette une image sur une surface monochrome, seules les parties les plus claires s’estompent et il est possible d’obtenir une image imprimée. « L’appareil millénaire » utilise ce procédé. Si l’appareil est stable, tout ce qui est immobile paraitra net sur la photo. Les éléments qui bougent comme les voitures ou les gens disparaitront.

À quoi ressemble une photo prise pendant 1000 ans ?

J K : La photo ne ressemblera pas à une photo instantanée claire et nette, mais plus à un film composé d’une seule image. Les changement subis par la ville seront visibles en fonction de leur nature. Les fantômes des maisons disparues depuis un milliers d’années hanteront par exemple les buildings qui les auront remplacés sur un même cliché !

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Vue de côté de l’appareil millénaire.

Quelle est la finalité de ce projet ?

J K : J’ai délibérément choisi de fabriquer un appareil avec une exposition beaucoup plus longue que la vie d’un être humain pour plusieurs raisons. Les personnes qui verront les photos, qui seront les plus concernées par les conséquences de ce que nous faisons à notre planète, ne sont pas encore nées. Cet appareil photo est donc une façon de créer une connection entre les générations voire les civilisations et favoriser la coopération. Car l’idée est aussi que les futures générations se servent de cet appareil pour l’améliorer.

« Cet appareil est une façon de créer une connection entre les générations voire les civilisations »

Nos actions peuvent profondément affecter notre planète et il est essentiel qu’on se rende compte que nos technologies ont autant d’impact que la géologie. Le but est donc d’obtenir des preuves de nôtre rôle dans l’évolution climatique et environnementale, qui ne dépend que de nous. D’autre part, j’ai aussi voulu qu’il soit utilisé par mes contemporains. Pas de manière visuelle, car c’est prévu pour 3015, mais de manière conceptuelle.

- Propos recueillis par Sandrine Dippa

Crédits images : Jonathon Keats / Arizona State University Museum.

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