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Visa pour l’image 2019 : « Moi vivant, Visa restera gratuit ! »

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10/09/2019 | Benjamin Favier

À l’issue de la trente et unième édition du festival international du photo journalisme, son emblématique créateur et directeur, Jean-François Leroy, dresse un état des lieux de la situation. Et annonce l’arrivée d’une bourse dédiée à la vidéo, dès 2020.

MDLP : Vous avez souligné, l’an dernier, l’importance de travailler sur l’angle et de l’originalité d’un sujet, plutôt que de se rendre à tout prix sur des zones de conflit. Pensez-vous avoir été entendu, suite à l’envoi des dossiers pour cette édition ?

Jean-François Leroy : Je maintiens ces propos. Je pense néanmoins avoir été très mal compris. On m’envoie des histoires individuelles : « Mon voisin est tuberculeux » ; « ma concierge est alcoolique » ; « mon oncle est schizophrène »… Ce ne sont pas des sujets. Ce sont des histoires personnelles. J’ai aussi également reçu cent-cinquante sujets sur les gilets jaunes. En mettant l’accent sur l’originalité, je souhaite avant tout limiter les prises de risque inconsidérées. Frédéric Noy, lauréat du Visa d’Or Magazine cette année, a ramené des images extraordinaires du lac Victoria, sans mettre sa vie en danger. Récemment, Stéphanie Sinclair, a aussi proposé un sujet très fort sur les petites filles que l’on marie trop jeunes. Le photographe américain Victor J. Blue s’est rendu à Mossoul et Raqqa, après « l’action ». Il montre ces deux villes au travers de panoramiques noir et blanc. Un travail artistique absolument superbe. Il l’a mené en dehors du temps des combats. Quant à War is personal, de Eugene Richards, il s’agit pour moi du plus beau plaidoyer contre la guerre, alors que l’on ne quitte jamais les États-Unis.

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Jean-François Leroy, créateur et directeur de Visa pour l’image. © Canon Europe

Il y a pourtant toujours autant de photos de conflits au programme du festival. Est-ce un domaine réservé à un cercle privé de grands noms du photojournalisme ?

Des gens comme Patrick Chauvel, Goran Tomasevic ou Pascal Maître vont sur les terrains de guerre avec des garanties de publication. Et face à des photographes d’agence comme l’AFP ou Reuters, qui envoient leurs images dans la minute qui suit la prise de vue, il est impossible, pour un jeune photographe, de rivaliser.
Joao Silva a perdu ses deux jambes. Il a été opéré quatre-vingt-dix-sept fois… sans parler des prothèses en titane qu’il a aujourd’hui… s’il n’avait pas bénéficié de l’assurance du New York Times, il serait mort dix fois ! Patrick Chauvel m’avait déjà alerté il y a une quinzaine d’années, sur le nombre croissant de jeunes photographes inexpérimentés qui arrivent sur les terrains de guerre, en quête de World Press ou de Visa. Il m’a mis face à mes responsabilités. Horst Faas disait qu’aucune photo ne vaut une vie. On perd déjà beaucoup de photographes chevronnés : Dolega, Hetherington, Andros… Ce sont les risques du métier. Mais ils partent avec une garantie de publication. Ils ne vont pas risquer leur vie pour rien.

Vous avez annoncé l’arrivée d’une nouvelle bourse l’an prochain, dédiée à la vidéo. Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?

C’est la conséquence de l’évolution du métier. Les journaux paient moins et produisent moins. Des photographes reconnus comme Yuri Kozyrev, Laurent Van der Stockt ou Olivier Laban-Mattei réalisent des documentaires. Nous avons toujours diffusé des sujets vidéo. Celui de Van der Stockt en Syrie ou de Rémy Ourdan à Sarajevo par exemple. Le métier évolue. Le matériel évolue. Nous nous devons, nous aussi, d’évoluer. Nous avons donc eu l’idée avec Canon, de monter un prix vidéo. Ce seront des séquences courtes : 2, 3 à 5 min maximum. D’après mon expérience, trois années sont nécessaires pour installer un prix.

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Lors d’une soirée de projection à Campo Santo, Jean-François Leroy annonce la mise en place d’une bourse dédiée à la vidéo, en partenariat avec Canon, dès 2020. © Canon Europe

Vous avez eu la visite du ministre de la Culture, M. Riester. Qu’attendez-vous du gouvernement ? Que reste-t-il de l’observatoire du photo journalisme, créé dans le cadre de la mission de la photographie, il y a une dizaine d’années ?

Je me suis retiré de tout ça. Depuis trente ans, chaque fois que l’on a eu des observatoires, le « grand examen », l’« espace de réflexion », on s’est à chaque fois retrouvé entre nous. Les cinquante mêmes personnes, à évoquer les cinquante mêmes problématiques. Le temps de digérer nos conclusions, le ministre change. Nous passons à autre chose.
En ce qui concerne la visite de M. Riester, je dois dire que je n’avais pas vu un ministre aussi attentif et à l’écoute depuis Frédéric Mitterrand. J’en ai profité pour évoquer un sujet qui me tient à cœur : la création d’une carte de presse européenne. Aujourd’hui, une personne prise en otage dans une zone de conflit a plus de chance d’en sortir vivant si elle est de nationalité française, que si elle est Espagnole ou Italienne. Si tous les reporters avaient une carte de presse européenne, la donne serait différente. Je lui ai proposé une rencontre au ministère pour que nous puissions lui faire part de nos doléances, il m’a répondu oui. Il a passé du temps sur place, visité des expositions, posé des questions, lu les légendes. Il n’était pas là pour être pris en photo. J’ai connu des ministres qui s’intéressaient plus à la photo qu’on allait faire d’eux, qu’à la photo elle-même…

Cela fait maintenant deux ans que l’agence Magnum Photos a accepté l’arrivée d’investisseurs externes. Est-ce une voie inéluctable pour que les agences perdurent ?

Est-ce que les investisseurs ont un retour sur leur investissement ? Il est trop tôt pour le dire. Je reste sceptique. On ne parle que de business-plan, de marketing, de « disrupter » le marché de la photo, d’« impacter » le salaire des photographes… à quel moment parle-t-on de passion ? De cœur ? D’engagement ? Si j’avais voulu gagner de l’argent, je n’aurais pas créé Visa pour l’image. Je suis guidé par la passion. Et je pense que cette notion est incompatible avec la rentabilité. Il existe bien sûr des exceptions. On peut détester Jeff Bezos, en tant que boss d’Amazon. J’étais le premier à le critiquer, lorsqu’il a racheté le Washington Post. Mais il faut reconnaître qu’il a redonné des moyens au journal, recruté des journalistes et photographes, de qualité, pour remettre le titre sur les rails.

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Le directeur de Visa pour l’image face à des étudiants en photojournalisme. En tout, 252 sont venus à Perpignan lors de cette édition. © Canon Europe

Après trente-et-une éditions de Visa, quelle est votre plus grande fierté ?

Ma plus grande fierté à Perpignan, c’est de voir l’intérêt du public pour les expositions présentées. Très peu de personnes passent en courant devant les images. Quelqu’un que je ne connaissais absolument pas m’a dit, au début de cette édition : excusez-moi, monsieur Leroy, je viens de voir les expositions de Zavala et Keller, au Couvent des Minimes. J’ai eu mon lot d’émotions pour aujourd’hui, je reviendrai demain. C’est formidable de toucher les gens comme cela. Il est certain que la gratuité joue un rôle important. Moi vivant, Visa restera gratuit !

Depuis trois ans, un programme permettant aux étudiants de soumettre leurs travaux à des éditeurs et photographes pros a été mis en place. Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Je trouve ça fabuleux. Mettre en relation des étudiants avec des photographes confirmés, des éditeurs, c’est une chance inouïe : on ne présente pas un portfolio de la même manière au Stern ou au Figaro Magazine. Cette initiative, menée en partenariat avec Canon, fait écho à un autre temps fort de Visa, la troisième semaine, consacrée au scolaire. L’année dernière nous nous sommes adressés à presque 12 000 jeunes entre 5 et 20 ans. Pour moi il est très important d’éduquer les élèves, encore plus les étudiants en photo. Leur faire comprendre l’importance d’une légende sur une image. Chaque année, je leur dit : « Apprenez à détecter les fake news ! ». Dans le monde actuel, apprendre à déceler une fausse information, à ne pas la relayer, éduquer le regard par rapport à l’image, c’est primordial.

Propos recueillis par Benjamin Favier

- Le site de Visa pour l’image
- Le palmarès de l’édition 2019

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