La Maison européenne de la photographie expose le dernier projet du grand photographe brésilien, qu’il a mis huit ans à réaliser avec sa femme. Un travail colossal, mené aux quatre coins du monde, qui s’impose comme un magnifique hommage à notre planète. Après le livre, superbe, édité par Taschen, l’exposition itinérante homonyme arrive à Paris. À voir dès à présent, jusqu’au 5 janvier 2014.
« Excusez-moi, j’ai été un peu long ! » Quand il prend la parole, devant une quarantaine de journalistes, en préambule d’une visite guidée de Genesis, à la Maison européenne de la photographie, Sebastião Salgado se montre intarissable. Le photographe brésilien évoque pendant de longues minutes différentes problématiques liées à l’écologie. Fait de grands gestes. Parle avec vigueur de son projet de récupération d’une petite partie de la Forêt Atlantique au Brésil, qu’il mène depuis les années 90 avec Lélia, son épouse, présente à ses côtés.
Aux confins du Sud. Manchots à jugulaire (Pygoscelis antarctica) sur un iceberg entre les îles Zavodovski et Visokoi. Îles Sandwich du Sud, 2009.
© Sebastião Salgado
Au lieu de s’attarder sur le volet photographique, il souligne la dimension environnementale du projet, qui l’a amené à parcourir trente-deux pays, sur une période de huit ans avec son équipe (Lélia et Sebastião ont créé l’agence Amazonas Images en 1994) : « Nous n’avons pas été dans ces différents endroits en tant que journalistes, anthropologues ou scientifiques de telle ou telle branche. Nous y sommes allés par curiosité, par envie. Nous nous sommes concentrés sur les parties minérales et végétales de la planète. » Pour Lélia Wanick Salgado, qui en est la commissaire, cette exposition « met à l’honneur ces régions vastes et lointaines où, intacte et silencieuse, la nature règne encore dans toute sa majesté ».
Sebastião Salgado, qui aime tant photographier les gens, a cette fois concentré son regard sur la nature, dans ce qu’elle a de plus brut ; du désert algérien à la péninsule du Kamchatka, jusqu’aux îles Sandwich du Sud, en passant par son pays natal, le Brésil : « J’ai été obligé de faire beaucoup de paysages, ce que je n’avais jamais fait auparavant. Jusque là je ne photographiais qu’un seul animal : nous. Là j’ai beaucoup photographié d’autres espèces. »
Afukaka, chef des Kuikuro, communauté du Mato Grosso (Brésil) et Sebastião Salgado, lors de la visite de l’exposition Genesis pour la presse à la Maison européenne de la photographie, le 24 septembre 2013. Photo : Benjamin Favier
Parmi les deux cent quarante-cinq clichés exposés figurent des jaguars, baleines, manchots à jugulaire, caïmans, gorilles ou iguanes. Mais aussi des communautés d’hommes, comme les Kuikuro, dans le Mato Grosso, au Brésil : Afukaka, chef de la tribu, surgit au deuxième étage de la Mep, torse nu, en jean, coiffé de plumes rouges et jaunes. « L’une des rencontres les plus marquantes de ma carrière », s’enthousiasme Salgado dans son français parfait, légèrement chantant, visiblement ravi et ému d’avoir pu faire venir son ami. « Même s’ils vivent dans un endroit très reculé, les Kuikuro connaissent très bien notre civilisation. Ils prennent trois douches par jour, ils sont plus propres que nous ! », plaisante le photographe. En arrière-plan, trône un portrait de cet homme à la carrure massive, habitué à « lutter », au sens premier du terme, au sein de sa tribu. Nonobstant l’excellente qualité du tirage, on jurerait que la photo a été prise au début du siècle dernier.
Ceux qui connaissent l’œuvre de Salgado le savent bien : le photographe brésilien ne jure que par le noir et blanc. L’intégralité des tirages est monochrome : « Je ne sais pas faire de photos en couleur. J’en ai fait à mes débuts, à Gamma, Sygma, même quand j’étais chez Magnum. La couleur pour moi, c’était très difficile. Quand je voyais un rouge vif ou un bleu intense, je savais qu’ils allaient être tellement forts sur l’image que j’étais déconcentré et je faisais moins attention à la personnalité, à la dignité des gens. »
Néanmoins, il a dû revoir sa manière de travailler, au cours de la réalisation du projet. À force de subir de multiples passages aux rayons X dans les aéroports, de nombreux films ont été détruits. Suite à un long retour de Sumatra, en Indonésie et au ras-le-bol de son assistant, Jacques Barthélémy, il décide de passer au numérique, sous les conseils de Philippe Bachelier (journaliste à Réponses Photo, spécialiste du noir et blanc, qui a collaboré au projet).
Vue du confluent du Colorado et du Petit Colorado prise depuis le territoire Navajo. Le parc national du Grand Canyon débute juste après. Arizona, États-Unis. 2010 © Sebastião Salgado
Salgado s’était pourtant épris du moyen format, avec lequel il avait entamé le projet : « Pour la première fois, j’ai fait du moyen format. Ce n’est pas du 35 mm. On est sur un format beaucoup plus carré. J’ai éprouvé un plaisir énorme. Il est plus facile d’organiser l’espace, de photographier avec ce format. » Pour finalement reconnaître qu’il a obtenu des résultats équivalents, voire meilleurs, avec le Canon EOS 1Ds Mark III. La qualité de l’ensemble des tirages lui donne raison et surtout, si l’on peut noter des nuances, cette transition technologique ne nuit en aucun cas à l’homogénéité de l’ensemble. Pour procéder à la sélection, il a tenu à tirer des planches-contact en noir et blanc, lui qui n’est pas familier des écrans : « Je voyage en regardant mes planches-contact monochromes exactement comme je le fais au moment où je photographie. Mon langage, c’est le noir et blanc. »
Genesis est organisée en cinq chapitres et autant de zones géographiques : « Aux confins du Sud », « Sanctuaires naturels », « Afrique », « Terres du Nord », « Amazonie et Pantanal ». L’exposition occupe plusieurs étages de la Maison européenne de la photographie (voir les horaires de visite sur le site de la Mep), ainsi que le sous-sol. La Maison Européenne de la photographie accueille Genesis jusqu’au 5 janvier 2014. Vous pouvez lire notre chronique du livre éponyme, édité par Taschen, dans le numéro 58 du Monde de la Photo.
Genesis a déjà voyagé à Londres, Rome, Rio et Toronto. Elle sera prochainement visible à Sao Paulo et Lausanne. Voici les dates de l’itinérance, publiées sur le site de la Mep :
Museum d’Histoire Naturelle, Londres, 11/04-08/09/2013
Sesc Belenzinho, Sao Paulo, 05-11/2013
Musée Royal de l’Ontario, Toronto, 02/05-02/09/2013
Musée de l’Ara Pacis, Rome, 15/05-15/09/2013
Jardin Botanique, Rio de Janeiro, 28/05-25/08/2013
Musée de l’Elysée, Lausanne, 21/09/2013-12/01/2014
Le site de la Maison européenne de la photographie
Le site d’Amazones Images