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Le Photographe mis à nu

16/12/2009 | Benjamin Favier

16/12/2009- La trilogie Le Photographe est un bijou de bande-dessinée, qui mêle harmonieusement dessins et images. Deux ans après la disparition de Didier Lefèvre, ses deux acolytes, Emmanuel Guibert et Frédéric Lemercier, dévoilent un livre original, qui nous plonge un peu plus dans l’intimité du photographe.

Didier Lefèvre aurait pu rester pharmacien. Mener une vie confortable. Sa passion pour le voyage l’a convaincu de préférer le Leica au bistouri. Un changement de voie radical. Comme l’intéressé le souligne, il s’agit de deux mondes opposés : « Le seul point commun, c’est que les deux mots (NDLR : photographe et pharmacien) commencent par les deux mêmes lettres et voilà tout. » En fil rouge de cette vie d’aventurier en quête de belles images, il entretient une relation particulière avec l’Afghanistan, où il effectue son premier grand reportage, pendant cinq mois, avec Médecins Sans Frontières, en 1986. La trilogie Le Photographe est largement inspirée de cet épisode.
Dans cet ouvrage, Didier Lefèvre se livre à bâtons rompus sur son métier. Mais il ne s’agit ni d’un monologue, ni d’un entretien. Emmanuel Guibert ne se contente pas de relancer son interlocuteur. Il participe à la conversation. Le pluriel employé dans le titre fait référence aux fréquentes réunions entre les deux hommes, voisins à la ville, qu’Emmanuel avait pris soin d’enregistrer. Il s’est ensuite replongé dans ses bandes sonores avec Jean-François Berville, proche de Didier. Frédéric Lemercier s’est chargé de la mise en pages, comme ce fut le cas pour la célèbre BD.

Éthique

L’échange occupe environ 120 pages, sur les 264 qui composent l’ouvrage. Toutes les autres sont garnies d’images, prises par Lefèvre au Cambodge, en Roumanie, au Kosovo… Histoire de rappeler qu’il n’y avait pas que l’Afghanistan dans la vie du photographe. Dans ce dialogue, on découvre une personne profondément soucieuse de l’éthique - pour ceux qui ont lu la trilogie, ce trait de caractère apparaîtra comme une évidence.

Extrait du deuxième tome de la trilogie Le Photographe.

Peut-on tout montrer ? Jusqu’où aller pour obtenir une parution ? Des questions récurrentes dans la bouche des photojournalistes. Elles sont ici abordées de façon très concrète, avec de nombreuses anecdotes à la clé. Comme cet épisode où il se remémore, un brin révolté, de « la mode de la madone » : à la suite d’un cliché du photographe algérien Hocine, appelé « La Madone algérienne » et auréolé du World Press, de nombreux reporters tentèrent de reproduire ce symbole pour avoir un prix à leur tour. Un épisode « dégueulasse » pour Didier. À l’aise avec son interlocuteur qu’il connaît très bien, le photographe ne mâche pas mots. Son témoignage en tant qu’indépendant est très instructif, car il souligne la difficulté d’émerger au milieu de grands noms, prisés par les publications. Ainsi, Salgado ou Nachtwey sont régulièrement cités. Sans aucun ressentiment ni jalousie. Didier prouve par exemple comment un cliché de Nachtwey sur le génocide rwandais peut être montré, quand les siens sont jugés trop crus. Dans le même esprit, il évoque les coûts de reportage. Il lui arrivait d’attendre quelques jours avant de prendre un billet d’avion, quand la plupart de ses confrères se précipitaient sur l’événement. Lui, ne pouvait pas y aller à n’importe quel prix.

Respect

On décèle une pointe d’amertume au détour de certains récits. Surtout, la volonté d’un homme de produire un travail honnête, respectueux des sujets photographiés. Apôtre de la proximité et d’une approche établie sur la durée, il a souvent dépassé son rôle de journaliste. En Albanie, en 1999, il aide, avec son confrère Alain Keler, un père et son fils à obtenir des funérailles décentes pour la mère, dont le corps inerte repose à l’arrière de leur voiture. L’hôpital local accepte finalement de l’accueillir, grâce aux pressions des deux reporters. Quand le cadavre quitte la Fiat 500, ils prennent quelques images. En se tenant à distance.

Portrait de Didier Lefèvre.

Photographe

Didier Lefèvre est mort le 29 janvier 2007 d’un infarctus, à 49 ans. On pourrait remettre en cause l’intérêt de sortir un tel livre, post-mortem, tant la BD Le Photographe constitue une sorte d’apogée sur le travail de Didier Lefèvre. Les plus cyniques y verront une démarche purement mercantile de l’éditeur. Sauf qu’en lisant ces bribes de conversation, on s’attache encore un peu plus à ce personnage, à la fois réel et héros de bande-dessinée, tout en apprenant beaucoup de choses sur le quotidien des photojournalistes. Les profanes le découvriront avec bonheur. Chaque lecteur sera animé de la même envie : se (re)plonger dans la superbe trilogie.


- Conversations avec le Photographe
- Éditions Aire Libre
- Citations de Didier Lefèvre rédigées par Emmanuel Guibert et Frédéric Lemercier
- 264 pages
- 35 €

- Le Photographe, l’intégrale
- Didier Lefèvre, Emmanuel Guibert, Frédéric Lemercier
- Éditions Aire Libre
- 288 pages
- 40 €

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