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Lee Jeffries : « J’ai appris sur le terrain en me confrontant à mes peurs »

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14/05/2019 | Benjamin Favier

Après Yann-Arthus Bertrand et Reza, Lee Jeffries est jury d’honneur de la troisième édition du Vincennes Images Festival. Le photographe, originaire de Manchester, est notamment connu pour ses clichés de sans-abri pris en noir et blanc. Entretien.

Vous êtes jury d’honneur de la troisième édition du Vincennes Images Festival. Comment abordez-vous cette fonction ?  
C’est un immense honneur. Le Vincennes Image Festival est le plus grand festival français dédié à la photographie amateur. Je suis moi-même toujours un photographe amateur avec de l’expérience et en parallèle, je suis comptable. Partager mon expérience avec ceux qui débutent et leur inculquer les choses à faire ou à ne pas faire lorsqu’on se lance en plus de ce que je vis depuis toutes ces années va être très enrichissant. 

Le thème de la prochaine édition du festival est « Homo Sapiens 2019 ». Que vous inspire-t-il ?  
Je pense qu’on m’a probablement demandé de faire partie du jury, car mon portfolio est en adéquation avec la thématique de cette nouvelle édition. Toutes mes images traitent d’Humanité et du fait d’être un être humain. Je pense que c’est la raison pour laquelle les gens aiment mes portraits. 


En ce qui vous concerne, comment avez-vous appris la photographie ? 
 
J’ai appris sur le terrain en me confrontant à mes peurs. J’ai dû avoir le courage de sortir de ma voiture et de m’aventurer dans les quartiers les plus sombres de L.A. C’est important de se confronter à des choses qu’on n’a jamais faites et de se lancer tête baissée. Pratiquer est important. Ça m’a pris presque dix ans pour arriver où j’en suis. 

Comment avez-vous commencé votre travail sur les sans-abri ? 
 
C’est une longue histoire qui remonte à une dizaine d’années. J’étais à Londres afin de courir un marathon et un jour avant la course je me suis dit que je pouvais faire quelques photos de rue. J’étais dans les rues de Londres armé d’un boîtier amateur et d’un téléobjectif lorsque j’ai remarqué une jeune fille SDF, sous un porche, dans un sac de couchage. J’ai pensé que ça serait une bonne idée de la photographier. J’ai commencé à prendre des images et elle m’a remarqué. Elle n’a pas du tout apprécié ce que je faisais. Elle m’a hurlé dessus et tous les passants me regardaient. J’ai juste eu envie de m’enfuir. Mais je ne l’ai pas fait. J’ai arrêté de prendre mes images et j’ai commencé à discuter avec elle. L’entendre parler de son quotidien et de ses problèmes m’a fait sortir d’un monde dans lequel tout tournait autour de moi depuis trente ans. Cette histoire a déclenché une certaine empathie qui est finalement l’essence de ce que je fais aujourd’hui.


Comment parvenez-vous à garder une certaine distance avec des sujets aussi durs ? 
 
Je ne le fais pas. Il est difficile de mettre des barrières. Quand je rencontre des gens, c’est comme si je tombais amoureux d’eux. Mes images sont vraiment une façon positive de leur dire au revoir. Je ne peux pas changer leurs vies de manière individuelle, mais ce que je peux faire est d’aider des organisations qui interviennent auprès de ces personnes au quotidien. Je travaille par exemple avec une organisation à Seattle, j’offre de mon temps, mes images et mon « expertise » en quelque sorte. Ce que je fais donc a des retombées pour eux. 

Dans quelle mesure votre approche a-t-elle changé avec le temps ?

À la base, mon but n’est pas de prendre des photographies de SDF. Ma motivation est finalement plus égoïste. Je vais dans la rue pour alléger mon sentiment de solitude. Être avec des gens qui ressentent la même chose me permet donc de me sentir moins seul. C’est comme un antidote. Et plus je le fais, plus je tisse des liens. Au point que je suis parfois allé dans la rue dans l’unique but de créer ces liens. Quand j’ai commencé la photographie, les images étaient mon seul objectif. Désormais, elles sont devenues la pièce finale d’un voyage émotionnel. Je pense que les photos sont ma façon de dire au revoir à ces relations qui ne peuvent pas durer.


Vos photos sont composées de beaucoup de gros plans et d’images en noir et blanc. Comment définiriez-vous votre signature photographique ? 
 
Avant de commencer la photographie, il y a quinze ans, je n’avais jamais rien fait d’artistique. J’ai commencé à faire des images en noir et blanc, car j’ai été influencé par les clichés des soldats de la Première Guerre mondiale que j’ai pu voir à l’école. Le pouvoir du regard m’a aussi toujours fasciné. Concernant mon style, il a majoritairement été influencé par un voyage à Rome. C’était mon premier voyage dans cette ville. Je voulais y aller pour faire bénir un chapelet au Vatican, pour la mère de ma compagne de l’époque, atteinte d’un cancer, avant qu’elle décède. Découvrir l’ambiance de la ville et faire quelque chose pour quelqu’un a beaucoup influencé mon style artistique. Quand on voit une de mes images, ce qu’on perçoit est l’ambiance et la spiritualité que j’ai vécue à Rome. La foi et l’humanité se ressentent dans tous mes portraits. 

Comment travaillez-vous vos lumières ? 
 
Elles sont une nouvelle fois inspirées par ce que j’ai vu à Rome. J’essaie de travailler avec les lumières et les ombres de manière spirituelle. J’utilise la lumière de manière positive et métaphysique. Les tons clairs représentent la lumière du paradis et la foi, la spiritualité tandis que les ombres illustrent la solitude, le chagrin, le doute. Je pense que lorsqu’on regarde mes clichés en ayant en tête ces informations, on les comprend mieux.

Quels conseils pourriez-vous donner à des photographes souhaitant se lancer ?  
Je reçois beaucoup d’e-mails de jeunes photographes, qui souhaitent se lancer, me demandant comment débuter. Rien qu’aujourd’hui, j’ai bien dû en recevoir une dizaine. C’est très difficile de conseiller ces jeunes, car lorsque j’avais leur âge, je voulais tout, tout de suite. Comme tout le monde, j’associais le succès à l’argent et je voulais la gloire. Ce que les jeunes oublient est que la photographie est un long voyage. En ce qui me concerne, il a pris du temps. J’ai progressivement évolué, tout comme ma présence sur Instagram et sur Internet. Le conseil que je pourrais donner aux jeunes est donc d’accepter que cela puisse prendre du temps. N’essayez pas de précipiter les choses. Vos images vont s’améliorer en pratiquant. La patience est la chose la plus importante. 

En 2016, vous avez réalisé un travail à quatre mains avec le street artist Jeff Aérosol exposé à la MathGoth Galerie. Comment cette collaboration est-elle née ?
Ce qui est amusant est que j’ai contacté Jeff parce qu’il utilisait certaines de mes images. Il m’a répondu qu’il ne savait pas qu’il s’agissait de mes photos et m’a, par la suite, invité à une exposition qu’il organisait à Londres. En échangeant, nous avons pensé à un projet collaboratif qui a été exposé à Paris et à Londres. Ce qui était intéressant était de voir que mes images pouvaient être utilisées d’une façon complètement différente. J’ai aussi travaillé avec C215. C’est quelque chose que je pourrais refaire. 

Qu’allez-vous exposer durant le Vincennes Images Festival ?  
Probablement des images tirées de mon portfolio en grand format. C’est la première fois que je vais faire une exposition en extérieur à Paris, ce qui est incroyable. J’ai hâte. Je pense que le premier jour je vais observer la façon dont les gens perçoivent mon travail. 

- Crédits photos : Lee Jeffries

- Le site de Lee Jeffries

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