Quand beaucoup passent devant une intéressante et potentielle photo qui n’a pas encore imprimé le capteur, l’œil plus aguerri et scrutateur du photographe la remarque. C’est tout l’objet de ce livre que de faire ouvrir les yeux à ceux qui se contentent de voir sans vraiment regarder et analyser les circonstances qui conduisent au clic-clac.
À l’image de Pourquoi j’aime cette photo : la science de la perception, qui appartient à ce qu’Eyrolles ne déclare pas encore comme une collection, le livre est abrité sous une reliure cartonnée et présente une charte graphique identique. Avec un beau papier satiné et un rendu des photos trop terne. L’auteur Michael Freeman est connu pour ses livres didactiques mêlant technique et esthétique. Ici, le savoir-faire lié au matériel et à la prise de vue est laissé de côté, au profit de l’art de bien voir, d’anticiper ou de rechercher de potentielles situations justifiant quelques déclenchements.
La photo de la couverture (prise par Bob Mazzer illustre bien l’état d’esprit. Quand le quidam lambda longe ce quai de métro, il y a fort à parier que son regard distrait ne détecte pas le potentiel de la situation, qu’il n’a pas forcément perçu, occupé par l’envoi d’un SMS ou par la conversation avec un proche. Mais dans le cerveau du photographe, les informations transitant par la rétine et le nerf optique, traitées par ses neurones aboutiront sans doute à une action réflexe : enregistrer la scène ou attendre que la situation se mette en place.
Freeman n’a pas entrepris une démarche au didactisme affirmé. À la place, il organise plusieurs thématiques et convoque une trentaine de photographes et certains de leurs clichés, pour décrire leur démarche, leur ligne de conduite, leur vision de l’acte photographique, les circonstances de la prise de vue. Le résultat est que l’on se laisse aller au fil d’un texte plus agréable à lire que des enchaînements de conseils, que l’on découvre des preneurs d’images que l’on ne connaît pas et que cela suscite la réflexion. Petit regret : l’espace insuffisant occupé par certaines photos qui ne leur rend pas toujours justice, quand l’expression des visages qui en fait l’intérêt ne ressort pas suffisamment, le cliché ayant été pris au grand-angulaire.
S’il est un conseil qu’il fallait retenir, du moins pour celui qui hésite à déclencher quand la permission de photographier est incertaine, ne relève pas de l’auteur, mais d’une citation de Peter Heisser, extraite d’un livre consacré à la facette humaine de la Révolution chinoise : « en Chine, contourner les règles fait partie de la vie, et une des vérités fondamentales est qu’il est plus facile de demander le pardon que l’autorisation ». Preuve en est que la chance photographique sourit souvent aux audacieux.
Photographier ce que les autres ne voient pas, de Michael Freeman, traduction Franck Mée
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