Il y a deux ans, l’acheteuse d’art Laure Bouvet crée Well Done John. La structure vise à coacher les photographes en les accompagnant sur différents aspects de leur activité. Rencontre.
Le Monde de la Photo : Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours dans le monde de l’image ?
Laure Bouvet : J’ai passé plus de 10 ans en agence de publicité en tant qu’acheteuse d’art. L’acheteur est la personne qui s’occupe de la veille artistique c’est-à-dire qui sélectionne les photographes et les illustrateurs qui réalisent les campagnes publicitaires. Elle s’occupe aussi de la production du shoot, c’est un peu un chef d’orchestre. Pendant ces dix ans, j’ai été en contact avec énormément de photographes. C’est ce qui m’a décidé à créer ma structure. Depuis deux ans, je propose donc mes services de coaching aux photographes et en parallèle, je poursuis mon activité d’acheteuse d’art pour différentes agences.
MDLP : Parlez-nous de Well Done John...
L.B : Well Done John est une agence dédiée à l’achat d’art. Le monde de la photo évolue assez vite, il est donc important pour moi de continuer à exercer cette activité afin de garder un pied dans ce domaine et donner des conseils pertinents aux photographes. À côté, elle propose une activité de coaching aux photographes. Depuis sa création, en 2018 j’ai accompagné près de 50 photographes sur différents aspects : de l’accompagnement artistique, à la négociation en passant par la construction d’un portfolio, la rédaction du devis et la gestion des droits d’auteur. Le but est de rendre le photographe un peu plus autonome.
MDLP : Quelle est a genèse de ce projet ?
L.B : Au cours de ces dix ans passés en agence de publicité, j’ai constaté que le monde de la photographie avait beaucoup évolué et que les photographes étaient parfois un peu perdus. Ils ne connaissent pas forcément les nouvelles règles du jeu. À force de leur donner des conseils ces dernières années, je me suis rendu compte qu’ils étaient très demandeurs et qu’il manquait en France un accompagnement pour les photographes. Il y a bien sûr les agents. Mais avec la crise, nombreux sont ceux qui ont perdu une grande partie de leur chiffre d’affaires ces dernières années et les agents se sont en général recentrés sur ceux travaillent déjà beaucoup. Une grande majorité des photographes n’a donc pas la possibilité d’être accompagnée.
MDLP : Comment cet accompagnement s’articule-t-il ?
L.B : Je ne propose pas de formule type, tout dépend donc des besoins du photographe. Néanmoins, l’idée est de les accompagner dans deux domaines : l’accompagnement artistique et celui axé sur le développement de l’activité. Souvent le coaching commence par la construction du portfolio autour d’une écriture forte. C’est indispensable d’avoir une identité marquée pour se distinguer dans le monde de la photo, car il y a énormément de concurrence. Il faut être facilement repérable et cohérent. Je les aide aussi à formuler leur démarche artistique car les photographes ne savent pas forcément poser des mots sur leur travail. Il est important de trouver son champ lexical et d’expliquer le sens de son travail que ce soit dans le cadre d’une exposition, d’un concours ou d’un festival. La partie axée sur le développement de l’activité consiste à les aider à facturer au plus juste en prenant en compte les honoraires et les droits d’auteurs notamment. Il y a aussi différents volets sur les plans juridiques, financiers et au niveau de la négociation face aux acheteurs. C’est aussi ce point de vue de client que viennent chercher les photographes. En tant qu’acheteuse, je peux leur expliquer comment ça fonctionne et leur donner des billes.
MDLP : Concrètement, comment les photographes peuvent-ils faire appel à vos services ?
L.B : Je tiens à préciser que je ne suis pas agent de photographes. Je ne les représente donc pas. C’est important pour moi de garder cette indépendance. Quand un photographe souhaite faire appel à mes services de coach, je commence toujours par prendre le temps de le connaître en échangeant sur les problématiques qu’il rencontre afin de déterminer le but qu’il souhaite atteindre. Je travaille en majorité avec des photographes professionnels. Je coache aussi des photographes amateurs qui souhaitent devenir professionnels et veulent comprendre tout de suite comment ça marche. En fonction des besoins, le coaching peut durer trois à quatre séances, mais certains photographes ressentent le besoin d’être accompagnés sur la durée. Ils viennent alors me voir tous les mois ou toutes les deux semaines surtout lorsqu’ils ont besoin d’aide pour accoucher de leurs prochaines séries. Il s’agit alors d’un échange permanent qui nous permet de réfléchir ensemble. Pour ce qui est des tarifs, le prix débute à 200 euros de l’heure pour le coaching individuel. Je suis également en train de mettre en place un coaching collectif avec différents photographes. Le prix de ce workshop tournera autour de 50 euros de l’heure.
MDLP : À titre d’exemple, que conseilleriez-vous à un photographe qui souhaite fixer le prix d’une prestation ou d’une photographie ?
L.B : La question est assez complexe. Je lui demanderais de toujours demander une enveloppe à son client car il s’agit d’une information qu’il ne va pas systématiquement communiquer. Cette information donne un aperçu du prix de base. Je leur conseille aussi de ne jamais répondre rapidement à l’oral mais de prendre le temps d’évaluer la demande pour éclaircir toutes les zones d’ombre. Il faut savoir que les clients ont parfois tendance à entretenir un flou qui leur permet d’en demander beaucoup plus aux photographes. Je conseille donc de cadrer les choses, de poser toutes les questions. Par exemple, quand un client parle de postproduction, il est essentiel de détailler la demande et de spécifier s’il s’agit d’un simple nettoyage, de chromie ou de retouche beauté. Ces questions sont fondamentales dans le calcul du prix. Ce dernier dépend aussi de l’intérêt de l’image pour le book du photographe. S’il peut s’en servir pour son portfolio, par exemple, il peut pratiquer des tarifs un peu en dessous de ce qu’il pratique d’habitude. À l’inverse, s’il s’agit d’un travail purement commercial, je lui conseille en général de monter ses prix. Au final le tarif d’un photographe doit être fixé de manière très rationnelle, car quand on est photographe, on est aussi un chef d’entreprise. On doit mener sa barque comme n’importe quel entrepreneur. J’ai par exemple élaboré un plan qui permet de calculer le coût du travail. Ce tableau prend en compte tous les aspects y compris ceux parfois oubliés comme le temps passé à la prospection ou encore à l’alimentation du compte Instagram, par exemple. Ces éléments permettent de calculer le nombre de jours travaillés par mois et donc un coût minimal. En faisant ce travail, on se rend souvent compte que les photographes travaillent souvent à des tarifs aberrants qui ont tendance à casser les prix marché et qui ne permettent pas de maintenir une activité à long terme. Les photographes ne se rendent pas toujours compte qu’en acceptant des tarifs imbattables, ils dévalorisent leur travail. En acceptant les conditions de plus en plus contraignantes des clients, ils se mettent dans une situation très difficile.
MDLP : Comment pensez-vous faire évoluer Well Done John ?
L.B : J’aimerais développer les workshops car ils sont beaucoup plus accessibles financièrement pour les photographes. Ils permettent aussi de mettre en place des groupes de parole dans un monde assez solitaire ou les photographes échangent assez peu entre eux. Pour l’heure, il s’agit de workshops sur Zoom mais l’idée est de créer des rencontres physiques qui permettraient développer le sens du collectif entre les participants.
Crédit image d’accueil : Laure Bouvet par Céline Bansart