La huitième édition des Zooms se déroulera du 9 au 13 novembre dans le cadre du Salon de la Photo. L’événement - dont le vote du public est ouvert jusqu’au 25 septembre - récompensera deux photographes d’un Zoom du public et du Zoom de la Presse Photo. Cette année, MDLP présente Céline Jentzsch et Auprès de mon renne, une série prise en Mongolie. Rencontre avec la photographe voyageuse férue d’Asie.
Le Monde de la Photo : Entre le Cachemire, la Mongolie, la Sibérie, le Japon ou Oman, vous avez parcouru une bonne partie de l’Asie, appareil à la main. On vous qualifie d’ailleurs souvent de "photographe-voyageuse". Comment vous définiriez-vous ?
Céline Jentzsch : Je me sens avant tout comme une voyageuse qui porte un regard positif sur le monde. La photographie est venue par la suite, comme une évidence. J’ai rapidement eu envie d’immortaliser et de témoigner des scènes de vie très simple, des moments purs et authentiques. C’est d’ailleurs aujourd’hui essentiellement ces sujets qui me touchent et que je souhaite documenter et partager. Quand je photographie des personnes, j’essaie de créer un lien avec elles en restant le plus longtemps possible sur les lieux plutôt que de simplement capturer un moment en deux ou trois déclenchements. On dit souvent de mes photos qu’elles restent naturelles et chargées d’émotion. Je pense que c’est parce qu’à un moment, la personne photographiée prend confiance et redevient vraiment elle-même.
MDLP : Pourquoi cette passion pour l’Asie ?
C.J : Lorsque j’ai commencé à voyager – il y a maintenant une quinzaine d’années –, je partais seule. J’ai fait mes premiers pas de voyageuse en Asie et cela a été un véritable coup de cœur. En tant que femme seule, je me suis toujours sentie très à l’aise. Ce continent me transporte dans un univers qui me correspond, j’aime la culture asiatique avec toutes ses différences, de la frénésie de l’Inde à la quiétude des steppes du Kirghizstan. L’éventail est large, cela va de la gastronomie à la philosophie en passant par les odeurs, les lumières et les paysages. L’Asie, c’est un bouleversement sensoriel !
MDLP : Quelle est la genèse d’Auprès de mon renne : un hiver chez les Tsaatans, une série prise en Mongolie en 2015, aujourd’hui présentée dans le cadre des Zooms.
C.J : Cette série a été prise en plein hiver, au mois de mars. J’ai voulu me rendre dans cette région pour deux raisons. La première est que j’avais voyagé quelques années plus tôt en Sibérie, en hiver, pour rencontrer des éleveurs de rennes nomades de Yakoutie, les Evènes. C’est lors de ce voyage, que j’ai entendu parler pour la première fois des Tsaatans de Mongolie. Quelques années plus tard, j’ai donc souhaité faire un parallèle entre ces deux communautés. La deuxième raison est que je souhaitais me confronter à la vie des nomades en hiver en Mongolie. Je suis guide de voyages photographiques dans ce pays pour Photographes du monde et il me semblait essentiel de comprendre leur mode de vie dans ces conditions. Ce périple m’a donc menée à l’extrême nord du pays, chez les Tsaatans, à la frontière de la Sibérie.
MDLP : Parlez-nous de cette communauté…
C.J : Les Tsaatans sont des éleveurs de rennes, des nomades qui vivent au rythme de la nature. Malheureusement, on n’en dénombre plus que quelques centaines et on se demande combien de générations vont encore continuer l’élevage de rennes. Très jeunes – aux alentours de 5/6 ans – les enfants vont à l’école dans les villages qui sont souvent à plusieurs heures de route. Ils ne rentrent que pour les vacances. Lorsqu’ils sont plus âgés et qu’ils ont terminé leurs études, ils n’ont pas forcément envie de retourner dans leurs familles et de reprendre le troupeau de leurs parents, ce sont des conditions difficiles. Les Tsaatans vivent dans des tipis avec un fourneau central ou, plus rarement, dans des maisonnettes en bois très basiques. Dès qu’il n’y a plus de feu, il y a une énorme déperdition de chaleur. Mais malgré ce froid omniprésent on sent vraiment que c’est leur mode de vie, ils ne semblent pas souffrir autant du froid que nous l’imaginons, ou en tout cas bien moins que nous Occidentaux. Ils se contentent de très peu, se promènent par exemple les mains nues alors que c’est difficilement gérable pour nous, même avec des vêtements high-tech.
MDLP : Comment vivent ces éleveurs au quotidien ?
C.J : Ils vivent au rythme des saisons, de la nourriture présente au sol pour les bêtes, le lichen, et donc au rythme de leur troupeau et des tâches quotidiennes. En fait, d’un côté il y a le camp, les tipis dans lesquels vivent les familles, et de l’autre le troupeau que nous avons mis sept heures à rejoindre à dos de renne. Ils emmènent les bêtes loin dans la taïga pour les éloigner des loups. Toutes les deux semaines, deux gardiens se relayent pour surveiller le troupeau en scrutant les environs et éventuellement éloigner les prédateurs qui rôdent. Avant de partir, ils prévoient des vivres pour toute la durée de leur séjour tels que de la farine, du riz, du thé. Leur troupeau est leur seule ressource, ils s’en nourrissent, fabriquent des vêtements et vendent leur viande et leur peau.
MDLP : Pour cette série, vous avez misé sur une certaine surexposition. Pourquoi ce choix ?
C.J : J’ai commencé à travailler en surexposition sur d’autres séries et pour Auprès de mon renne, c’était une évidence. Je trouvais que la surexposition, réalisée dès la prise de vue, renforçait le côté pur du paysage et du sujet ainsi que de la rudesse de l’hiver. J’ai aussi opté pour le noir et blanc, car à la base, tout ce que je voyais était très peu coloré, les toiles des tipis sont grises, les écorces des mélèzes marron, les rennes ont une fourrure beige. Le peu de couleur qu’il y avait n’aurait que distrait le regard du sujet principal et n’apportait ainsi rien à la série.
MDLP : La surexposition ayant été réalisée dès la prise de vue, quelle a donc été la part de postproduction ?
C.J : J’ai souhaité utiliser cette technique high-key de manière à volontairement perdre du détail dans les blancs. Cette surexposition implique des zones sombres très claires, j’ai donc ainsi retravaillé les contrastes afin de retrouver des noirs profonds. J’ai également rajouté du contraste ainsi qu’ajusté les réglages de base d’un fichier Raw. La retouche reste cependant très légère afin de conserver la dimension de pureté et la légèreté. Je pense notamment à la photo du Tsaatan allongé dans la neige avec ses deux rennes. La photo est si surexposée qu’on ne voit pas les traces de pas dans la neige. On a d’ailleurs la sensation qu’il se détache du sol. J’ai décidé de ne pas rattraper la matière dans la neige car l’impression de légèreté collait au sujet. Ce choix technique renforce le côté irréel pour nous, de cette vie.
MDLP : Pendant votre séjour les températures ont parfois avoisiné les -40°. Comment avez-vous géré votre matériel dans ces conditions ?
C.J : Je n’ai heureusement eu aucun souci technique tout au long du séjour, ni d’ailleurs chez les Evènes quelques années plus tôt. Par grand froid, je ne sors mon matériel du sac que lors de la prise de vues. Je fais également attention aux grands écarts de températures pour éviter la condensation. Même si je n’ai pas eu de problème majeur, il est évident que mes batteries se déchargeaient plus vite à cause du froid. La gestion de l’autonomie durant ce type de voyage peut s’avérer réellement compliquée, il n’y avait pas d’électricité et je n’avais pas de moyen de recharge. J’avais donc prévu suffisamment de batteries.
MDLP : Qu’avez-vous donc emporté comme matériel afin d’optimiser votre périple ?
C.J : J’étais équipée d’un Nikon D810 et d’un D4 en plus d’objectifs standard allant du 14 mm (idéal pour photographier l’intérieur d’un tipi !) au 200 mm, pour aller chercher le troupeau éloigné ! Côté accessoires, j’ai tout photographié à main levée, car je ne photographie que très peu avec un trépied, en dehors de la photo de paysage ou lorsque la luminosité est vraiment trop faible. Même si je reconnais ses avantages, je comprends d’ailleurs parfaitement que dans certaines conditions il soit indispensable. Lorsque je l’utilise, je me sens trop figée, trop statique. J’ai l’impression qu’on m’enlève une partie de mon expression photographique et artistique.
MDLP : Votre travail a été choisi par MDLP pour les Zooms. Quels sont vos autres projets ?
C.J : J’expose actuellement dans une galerie à Lausanne et j’ai d’autres expositions prévues dans les mois à venir. Un projet photo autour d’un voyage au long cours est également en préparation avec mon compagnon, photographe lui aussi, mais c’est encore un peu tôt pour en parler ici. Ce sera certainement un sujet de discussion lors du Salon de la Photo. L’annonce se fera également prochainement sur mon blog.
Le vote du Public est ouvert jusqu’au 25 septembre sur le site du Salon de la Photo. Les résultats seront dévoilés le 26 septembre 2017 !
Propos recueillis par Sandrine Dippa.