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Entretien avec le photojournaliste Yan Morvan

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13/08/2012 | Benjamin Favier

À l’occasion de la sortie de Reporter de guerres (éditions de La Martinière), le photographe revient sur la genèse de cet ouvrage. Une biographie menée à un train d’enfer. À l’image de la carrière de Yan Morvan.

L’homme ne passe pas inaperçu. Le pot d’échappement de sa grosse cylindrée rompt le silence en ce samedi aoûtien, place de de la Bastille, à Paris. Sourire aux lèvres, en bermuda et chemise courte, il a l’air d’un touriste. Il n’en est rien. La veille, il était à Sarcelles, où il poursuit son travail auprès des gangs. À 58 ans, il affiche un enthousiasme intact, lorsqu’il évoque son dernier ouvrage, Reporter de guerres (éditions de La Martinière, lire chronique ici).

MDLP : En lisant Reporter de guerres, on réalise que le récit va bien au-delà de la couverture de conflits. Il s’agit avant tout d’une biographie. Comment est né le projet ?

YM : C’est arrivé comme tout ce que je fais : on m’a demandé si ça m’intéressait de faire une biographie. J’ai dit pourquoi pas, je n’ai rien à cacher. Je pense être sincère dans le bouquin. Je pense qu’il y a une dimension pédagogique : ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Et puis je me suis dit que c’était un bon moyen de me remettre dans l’actualité, avec mon livre à paraître sur les gangs en fin d’année. Je voulais un autre titre : « Sur le fil du rasoir ». On m’a dit non, il faut reporter de guerre. J’ai dit oui, à condition de mettre un « s » à guerre. Pour moi la couverture des gangs, c’est aussi la guerre.

MDLP : Il est beaucoup question de vos ratés, de quelques échecs. Quel message voulez-vous faire passer dans cet ouvrage ?

YM : C’est de vivre. De vivre intensément. Je n’ai pas de problèmes existentiels. La peur fait que l’homme se conduit comme un animal. Les gens ont peur de tout. De l’autre, de perdre son travail, des policiers, du sexe, de la mort… J’ai appris la peur, mais j’essaye de juguler mes angoisses. La semaine dernière j’étais tranquille en Bretagne dans des conditions idylliques. Hier je suis rentré pour continuer mon projet sur les gangs des banlieues. En sortant du périphérique, devant les barres d’immeubles, je me demandais ce que je faisais là. Puis j’ai passé la soirée à Sarcelles, dans le quartier de La Secte Abdoulaye, buvant du rhum avec des gars dont certains ont fait dix ans de prison. J’étais bien, je n’avais pas peur. On vivrait plus en harmonie si on apprenait à la maîtriser. Il faut s’émerveiller sur le monde. Être humble. On n’est pas grand chose…

MDLP : Votre femme et vos quatre enfants sont régulièrement cités dans le livre…

YM : Mon père a divorcé de ma mère quand j’avais trois ans. C’était une pin-up. Il s’était marié avec elle parce qu’elle était jolie. Puis il est parti et l’a entretenue pour qu’elle m’élève. J’ai grandi sans voir mon père. Du coup je me suis juré, si j’avais des enfants, que je les élèverais. Demain il peut m’arriver n’importe quoi en banlieue, je laisse pas mal de choses derrière moi. Je me dis que j’ai assuré.

MDLP : À la rentrée, nous célèbrerons les quarante ans de l’agence Sipa. Vous connaissiez bien son fondateur, Göksin Sipahioglu, disparu l’an dernier. Quels rapports entreteniez-vous avec lui ?

YM : C’était un peu comme Enzo Ferrari avec ses pilotes : que le meilleur gagne ! Il jouait aux petits chevaux. Paradoxalement, il avait à la fois pas de cœur et un grand cœur. Je l’ai déjà attrapé par le col. J’étais dans un rapport de force avec lui. J’allais au casse-pipe. J’étais sur les nerfs. À Sipa, d’autres faisaient les paparazzi, je m’entendais pas trop avec eux. Quand je passais, je parlais d’argent avec Sipahioglu. Lui me disait : « Morvan tu repars au Liban ; Morvan, tu vas aux Philippines… » Ils m’appelaient le cow-boy, après El Loco (le fou, NDLR), parce que je dégainais tout le temps.


Yan Morvan au Liban.

MDLP : Vous racontez des anecdotes effroyables dans le livre, sur vos relations avec les autres photographes…

YM : Entre confrères, c’est terrible. Il n’y a pas de pitié. C’est comme de la Formule 1. Tu es sur une ligne de départ. Tu sais que tu dois gagner la course. Si le mec a une roue crevée, il rentre aux stands. Personne ne se contrôle de la même manière. La peur de la mort est complètement différente de la peur de voir des films, par exemple. C’est viscéral. C’est ton existence qui est en jeu. Tu ne sais pas comment tu réagis. J’ai appris que je me mets à transpirer d’un coup, lorsque j’ai été arrêté au Liban. Je ne peux plus parler. D’autres tremblent, se font dessus. Je me sentais comme un cheval qu’on amène à l’abattoir.

« J’étais payé pour trouver un angle, raconter une histoire. Pas pour jouer les super-héros. »

MDLP : Quelle expérience retenez-vous de ces années en tant que photographe de guerre ?

YM : On apprend à se connaître. Je ne suis pas quelqu’un de très courageux. Je réfléchis. Je prends des risques calculés. J’adore la moto, et la métaphore suivante traduit bien ma vision du métier : tu as une ligne droite, et un tournant. Tu peux rouler à 100, 200 ou 300 km/h. Mais tu sais que tu dois négocier un virage à 60 km/h. La guerre c’est pareil. Tu t’approches de la ligne de front, à 200, 100, 50 m. Puis ça passe ou ça casse. Au début je découvrais. Je me suis retrouvé à 5 m du front. Après j’ai compris que ça ne sert à rien d’aller dans les graviers. Mieux vaut réfléchir. Pour la majorité de mes photos, j’ai essayé de trouver un endroit, un angle, pour raconter quelque chose. J’étais payé pour ça. Pas pour jouer les super-héros. Je n’ai jamais voulu m’enfermer dans ce statut. J’ai créé d’autres choses, des journaux, j’ai été au club Med, pour m’aérer. Mais la guerre, c’est quand même quelque chose. Le bruit, l’odeur… Drôle de spectacle. J’avais parfois du Miles Davis dans les oreilles. D’autres prenaient des drogues, de l’héroïne, des champignons. Je me souviens de scènes au Liban : on s’émerveillait devant les couleurs. C’était Apocalypse Now ! C’est le film, pour moi, qui représente le mieux ce qu’est la guerre, avec La ligne rouge de Terrence Malick.

MDLP : À la fin de l’ouvrage, vous émettez des réserves sur la couverture des révolutions arabes. Iriez-vous en Syrie aujourd’hui ?

YM : Que faire en Syrie aujourd’hui pour éveiller la conscience des gens ? C’est un conflit très important. Tout tourne autour d’Israël. Les forces pour, les forces contre. Comment réagit l’Égypte. L’enjeu est énorme d’un point de vue stratégique dans la région. Mais comment raconter ça en images ? Cela ne sert à rien de photographier les rebelles courant avec leur kalachnikov.


Autoportrait de Yan Morvan accompagné de l’un de ses fils et d’un ami, au Vietnam, dans le cadre de son projet Battlefields.

MDLP : Est-ce à dire qu’il n’y a plus de place pour le photojournalisme ?

YM : Les solutions sont simples. Actualité-émotion-image animée d’un côté. Réflexion-image fixe-livres-expositions-publications XXL. Des revues comme 6 mois, XXI ou Polka trouvent leur public. Dans les années 70 il y avait beaucoup moins d’argent que maintenant. En 1972, Cartier-Bresson signait un article annonçant la mort du photojournalisme dans Photo… Internet a fait une révolution, en bien et en mal. Mon sujet sur les bikers qui date des années 70 est visible partout sur la toile. Je pourrais gagner plein de fric avec les droits d’auteur. Dans les années 90, les logiciels Kodak et Photoshop sont apparus. Le premier avait une clé et a disparu de la circulation. Le second a été piraté et s’est répandu partout. Je fonctionne comme ça avec mes images : j’ai trois propositions pour refaire un livre !

MDLP : Vous avez entamé le projet Battlefields en 2004 : vous revenez sur des lieux où se sont déroulées de grandes batailles et les photographiez à la chambre. Que voulez-vous montrer ?

YM : C’est une réflexion sur la photographie de guerre. J’ai fait du « hot shot » (en première ligne, NDLR) pendant sept ans. Cela m’a fatigué. En Syrie, en Lybie, on voit partout les mêmes photos. J’en ai des tas de ce type, prises au Liban dans les années 80. Je me suis dit : « tu vas refaire ça ? Qu’est-ce que tu vas apporter de plus ? Tu veux devenir un mercenaire ? Pour l’adrénaline ? Pour exciter les femmes ? Pour montrer que tu en as ? » Les images aujourd’hui, elles sont prises par ceux qui sont en première ligne, souvent des militaires, avec des smartphones. Ce sont eux qui informent. En revanche, parler de la guerre, des conflits en amont, avoir une réflexion, ça m’intéresse. Je veux que l’on sorte de l’émotion. Que les gens qui voient ces images réfléchissent différemment.

Propos recueillis par Benjamin Favier

- À lire aussi : la chronique de Reporter de guerres

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